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et les mieux parlans qui se pussent rêver, tout cet ouvrage aurait-il chance de plaire ? J’en doute. Après que M. Scribe nous a gâtés, l’intrigue du Misanthrope nous paraît d’une faible trame ; que dire de celle des Fâcheux ? Et parfilée encore.. ! Habitués à la toile à voile, nous ne voulons pas de dentelle en charpie.

Cependant, cet ouvrage qui pourrait plaire à quelques douzaines de curieux, cette série décadrés où s’ordonnerait en tableaux, une multitude de croquis, cet exemplaire d’un art nouveau, M. Meilhac ne l’a pas risqué. Entre le premier et le troisième acte, il a mis le second, où, partant de la donnée tellement quellement exposée, il a filé un commencement de comédie. Il l’a filé le plus joliment du monde, en deux grandes scènes très simples, continuées selon la tradition, — mais selon la bonne, — l’une entre Roncerolles et Mrs Barklay, l’autre où coquettent Narsi et Mme Pérelle. Le public n’avait goûté que du bout des dents les hors-d’œuvre du premier acte : il avait craint qu’on ne voulût tromper sa faim ; pourtant, c’étaient des friandises de bonne mine, et présentées à leur place : il les avait laissées passer sans murmure. Cette entrée de comédie, venant après, lui fi plaisir ; elle le rassura et le rendit plus difficile pour la suite : l’appétit croît en mangeant. Vint ensuite le troisième acte. : il est délicieux par lui-même, tout plein d’entremets exquis ; ce n’était pas le plat de résistance que, le public attendait, il l’attendit, ce plat, jusqu’à la fin du service, regardant défiler la plus Une dînette sans vouloir y toucher qu’à peine, sans la savourer du moins : M se réservait pour autre chose ; à la fin, peut-être, il fut fâché de sa réserve, mais contre qui fâché, sinon contre l’auteur, qui la lui avait inspirée ? Était-ce bien la peine d’exciter son désir au second acte ? Avait-on juré de lui ménager une déconvenue ?

Quatrième service, nouvelle surprise, — contraire à la première, mais qui envenime la mauvaise humeur des convives. Ils ne comptaient plus que sur un dessert : voici, tout à coup précipité, ce reste du repas qu’ils réclamaient tout à l’heure. L’un sur l’autre, des plats hétérogènes, quelques-uns d’une fantaisie étrange, d’autres sérieux et même lourds, achèvent d’étonner, par le pêle-mêle et par la hâte, des gens qui ne les attendent plus ou ne les attendaient pas. L’auteur, dans le milieu de la pièce, par dédain du convenu, par caprice d’artiste qui s’oublie où il s’amuse, avait laissé flotter son intrigue, soudain il la ressaisit, se souvenant qu’il fait un ouvrage de théâtre et qu’il n’a plus qu’un acte remplir. Alors, dans cet acte, il jette négligemment tous les élémens d’une pièce, à quelque genre qu’ils appartiennent, opérette, vaudeville ou mélodrame : le brigand calabrais, qui sert de domestique à Narsi, vient du répertoire d’Offenbach ; les portes, par où l’on ira de chez Narsi chez Mme Tabernier et chez Mlle Lucette, ont été percées