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exagérée, surtout si l’on songe qu’elle s’appliquait à un tout petit ballon de 4 mètres de haut, dont la force d’ascension, qui ne dépassait pas 20 livres, était à peine capable de soulever un chat. Il alla tomber à Gonesse : ce n’est pas le moins curieux de son histoire. En voyant cette masse informe écrasée sur la terre, à demi gonflée, s’agitant au vent, on la prit pour la peau d’un animal monstrueux. Elle fut exorcisée, attachée à la queue d’un cheval et traînée. Le plus courageux des assistans lui tira deux coups de fusil, et de la blessure s’échappa comme un soupir avec une diabolique odeur. Le ballon fut découpé, déchiré, haché, et quand on vint de Paris pour le recueillir, il n’en restait que des débris.

On ne saurait imaginer la frénésie d’admiration qui s’empara de la population parisienne. Le roi voulut être témoin d’un départ. On prépara pour lui, dans la cour de Versailles, une montgolfière à son chiffre, ornée des attributs de la mythologie. Elle était immense (57 pieds de haut) et, malgré cette énorme dimension, elle se gonfla rapidement, s’éleva jusqu’à la hauteur de 280 toises pour aller tomber, huit minutes après, à Vaucresson. C’est la première qui ait enlevé des animaux, un mouton, un coq et un canard, qu’elle déposa sains et saufs dans un carrefour de la forêt ; le mouton paraissait inconscient du voyage qu’il venait d’exécuter et tout à fait insensible à l’honneur de l’avoir accompli le premier.

Ces diverses épreuves étaient loin de contenter l’impatience et la curiosité du public. Il demandait et espérait davantage, que l’homme profilât lui-même de cet étrange et merveilleux mode de locomotion, et, comme il y avait deux systèmes rivaux qui se partageaient l’opinion, la montgolfière à feu et le ballon à hydrogène, la première pleine de dangers, mais facile à remplir, le deuxième offrant plus de sécurité, mais moins de commodités, il fallait des expériences pour décider entre eux.

L’Académie des Sciences s’en chargea ; elle fit construire à ses frais, dans les jardins du marchand de papier Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, la plus grande montgolfière qu’on eût encore vue ; elle avait 70 pieds de diamètre et ne jaugeait pas moins de 6,000 pieds cubes. Tous les jours, en présence de l’Académie et d’un public nombreux, on la gonflait, puis on pesait sa force d’ascension, c’est-à-dire le poids qu’elle pouvait enlever, et on la laissait refroidir pour recommencer le lendemain. La manœuvre était dirigée par Etienne Montgolfier, qui se faisait aider par un jeune homme nommé Pilatre de Rozier. Ce dernier, né à Nancy, avait professé la physique à Reims. Il possédait des connaissances scientifiques assez étendues, avait beaucoup d’agilité, une grande adresse et une dose de