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M. Paul Bert fit construire en tôle de fer une enceinte assez vaste pour qu’on pût y enfermer des hommes ; on les introduit par une porte qui se ferme ensuite hermétiquement et on les observe par des fenêtres à travers lesquelles ils peuvent à leur tour communiquer par écrit avec l’extérieur. Cette enceinte est en relation avec des réservoirs, avec des machines propres à dilater ou à comprimer l’air ou à introduire d’autres gaz. On peut ainsi faire varier de toutes les manières possibles les conditions de l’existence des patiens. Quand il raréfiait l’air comme cela arrive pendant les ascensions, M. Bert voyait naître et se développer les phénomènes que nous venons de décrire ; les mêmes causes produisaient les mêmes effets. Il fit ensuite une autre épreuve, conserva dans l’enceinte la même quantité d’oxygène et diminua peu à peu la pression en réduisant la proportion d’azote. Il eut la satisfaction de reconnaître que les animaux continuaient à vivre dans ce milieu toujours aussi riche en air vital, mais dont on supprimait progressivement la proportion de ce gaz inutile et sans action qu’on a si justement nommé azote. M. Paul Bert, qui se soumit lui-même à l’expérience, affirme n’avoir rien éprouvé d’insolite jusqu’à la pression de 150 millimètres ; il aurait même continué l’épreuve plus loin, si les préparateurs, effrayés de leur responsabilité, ne s’étaient décidés, en le trompant, à laisser rentrer l’air et à lui ouvrir sa prison. Il est donc bien certain que ce n’est pas à la décompression seulement, et que c’est surtout à la diminution d’oxygène qu’il faut attribuer l’asphyxie dont M. Glaisher faillit être la victime.

Confians dans ces résultats, qu’ils avaient eux-mêmes expérimentés, et voulant reculer la limite des ascensions possibles, deux hommes courageux, Sivel et Crocé Spinelli, firent un premier voyage à grande hauteur (7,320 mètres) le 22 mars 1874. Ils avaient emporté des ballonnets remplis d’air suroxygéné à divers degrés, qu’ils commencèrent et continuèrent à respirer dès l’altitude de 3,600 mètres. L’épreuve fut satisfaisante. Le retour des forces, de l’appétit, de la vision, de la vigueur générale suivait immédiatement l’inhalation de l’oxygène ; la reprise du malaise des montagnes accompagnait aussitôt la respiration de l’air normal raréfié. Cela vint confirmer les expériences faites en vase clos et décider Sivel et Crocé Spinelli à entreprendre ce voyage fatal qui devait leur coûter si cher. Ils partirent le 15 avril 1875, accompagnés de M. Gaston Tissandier, emportant 150 litres d’oxygène, provision bien insuffisante, car trois personnes devaient en consommer au moins 150 litres par minute. Ils en avaient été prévenus par M. Bert ; mais, résolus à braver tous les dangers, ils persistèrent, décidant qu’ils n’emploieraient l’oxygène que dans le cas d’absolue nécessité. C’est cette