Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorraine, méritaient déjà cette réputation de douceur dont ils jouissent encore aujourd’hui. Succédant au génie de la force, le génie de la ruse, héritage des Borgia et de tout le XVe siècle, principale protection des faibles, avait tout envahi dans un temps où nul n’avait plus de puissance, si ce n’est cet être abstrait, alors mai défini,.que nous appelons l’esprit moderne. Ce génie vraiment italien s’était surtout comme incarné dans les représentons d’une religion longtemps dominante, qui se sentait menacée et qui osait du droit de défense. Naguère encore elle attaquait, quand elle trouvait dans le pouvoir civil un docile instrument. Dans son interminable règne de cinquante-trois années, Cosme III de Médicis avait transformé la Toscane en un vaste couvent sur lequel régnaient les jésuites, vidé le trésor public pour faire des pensions aux moines, négligé et parfois persécuté les sciences. Des ministres qui envoyaient aux galères le chasseur coupable d’avoir tué un faisan ne pouvaient regimber contre le supplice de la corde demandé par l’ordinaire pour qui faisait l’amour malgré la défense de son curé. Avec leur permission, l’on incarcérait tantôt un catholique accusé d’avoir posé ses cinq doigts au mur pour conjurer cinq diables, ou d’avoir baptisé les fèves et les chandelles, tantôt un juif prévenu d’avoir, par mépris pour la passion du Sauveur, crucifié, le vendredi saint, des agneaux et des brebis.

La crainte, la cupidité, l’ambition avaient, comme partout, engendré l’hypocrisie. On faisait le saint ou le converti. Il y avait des convulsionnaires, des possédés et des exorcistes. Nombre de dévots, conduits par deux jésuites, allaient sur la place du Santa Croce ou devant les Uffizi se flageller en gémissant ; ainsi faisait-on déjà dans la vieille Florence du XVe siècle. Lorenzo Magalotti, un des principaux lettrés de cette ville au XVIIIe, passait à Rome ses journées à épousseter avec des queues de renard, pour se mortifier, les autels de telle ou telle église ; le célèbre lettré Marchetti portait aux nues le « Jupiter français » qui avait révoqué l’édit de Nantes ; Viviani, disciple de Galilée, approuvait l’abjuration de son maître et en cachait les autographes dans un trou à grains, Magliabechi, le fameux bibliothécaire, se faisait délateur et suppliait Cosme III, « par les entrailles de Jésus-Christ, » de brûler les dénonciations qu’il lui adressait. Par ces actes, les uns secrets, les autres publics, on obtenait les riches prébendes, et le diable n’y perdait rien.

Le règne de Gian-Gaston, fils de Cosme III et dernier des Médicis, devait être et fut une réaction contre l’esprit du règne paternel, de même que la régence du duc d’Orléans, chez nous, consolait et consolait trop nos pères de l’hypocrite austérité en honneur sous Mme de Maintenon. De la maison d’Orléans par sa mère, Gaston avait