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prévenu de « blasphèmes hérétiques. » L’inquisiteur Ambrogi faisait-il main basse, chez tel ou tel libraire, sur un livre qui avait le tort d’être étranger ou dont le titre lui faisait dresser l’oreille, ils prenaient la défense du libraire, et l’on ne peut vraiment leur donner tort quand il s’agissait de la Satire Ménippée, saisie chez le libraire Bigacci, à la demande des jésuites. En représailles, le père Ambrogi voyait-il emprisonner un de ses agens, il le nommait aussitôt familier du saint-office. C’était la guerre, une guerre sourde, où l’église trouvait, contre un maître exotique, de l’appui dans Florence. On y faisait circuler contre lui de mauvais vers, d’intention dénigrante :


Loterie, Luxe, Luxure, Lorrains,
Quatre L qui ont ruiné mon pays.
Avec les Médicis un quattrino en valait seize ;
Avec les Lorrains, si on dîne, on ne soupa plus.


Deux cents ans du régime énervant des Médicis avaient ôté aux Florentins le goût des réformes, même de celles qui tournaient à leur profit.

De quel côté le grand-duc ferait-il pencher la balance quand il viendrait se montrer à ses nouveaux sujets ? Des deux parts, ou voulait espérer. Il arriva, le 19 janvier 1730, avec Marie-Thérèse, auprès de qui il jouait ce rôle subalterne de prince-époux qu’elle relevait de son affection et de ses égards. François de Lorraine n’avait que sympathie pour les franc-maçons, qu’antipathie pour les tribunaux ecclésiastiques, qui bravaient et diminuaient le pouvoir civil. Mais, par leur attitude, les hommes de sa confiance lui donnèrent à réfléchir, entre autres, son bibliothécaire, l’abbé champenois Valentin Duval, devenu le plus intime de ses familiers. Ce savant, simple et honnête, déjà choqué de trouver en Toscane une noblesse si ignorante, si molle, si nulle, était scandalisé de coudoyer à chaque pas tant de cavaliers servans, de sigisbés, « martyrs de la galanterie, esclaves des caprices du beau sexe, » comme les appelait Goldoni. Il fut pris d’effroi quand il vit la place que l’inquisition tenait à Florence, et il sollicita de son maître l’auto-risation de repartir sans retard pour Nancy. Cet excès de prudence était tout au moins un avertissement. Le grand-duc comprit que, pour agir suivant son inclination et les conseils de ses ministres, il devrait livrer bataille à ceux de Marie-Thérèse, et courir le risque d’avoir contre lui le saint-siège, sans trop d’espoir d’être soutenu par l’amour des Toscans. Qu’il fût absent ou présent, peu importait : les choses n’en suivraient pas moins leur cours. L’inquisition avait désormais le champ libre, et elle était trop habile pour n’y pas déployer aussitôt son action.