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devant être, en toute occasion, préférée à la parenté[1], » il avait obéi trop docilement.

Déjà notés sous le règne de Gaston, ces griefs n’avaient point alors paru suffisans pour donner lieu à un procès. Sous la domination des Lorrains, en y joignant les dépositions plus récentes de Pupiliani et de Minerbetti, ils permettaient de constituer un respectable dossier ; le tout était d’agir avec prudence et de saisir aux cheveux l’occasion. Le bruit s’était répandu que François de Lorraine, rappelé par son beau-père l’empereur Charles VI, qui voulait le lancer contre les Turcs, allait quitter la Toscane. Après avoir préparé le terrain en remontrant au prince de Craon que le refus du bras séculier, sans expresse licence du secrétaire de la juridiction laïque, équivalait à détruire l’autorité du saint-office, l’inquisiteur, soutenu par le nonce, « implorait l’oracle du sérénissime grand-duc » pour obtenir la permission d’arrêter ce monstre de Crudeli. Qu’il la donnât, avant de tourner les talons, et ses ministres seraient bien empêchés de le rejoindre en Hongrie pour la lui faire révoquer. Mais, craignant à bon droit de paraître suspects, Ambrogi et Stoppani firent entrer dans leur jeu, mirent en avant le cardinal Neri Corsini, qui dirigeait les affaires du saint-siège pour son oncle Clément XII, infirme et presque aveugle. C’est le cardinal qui, le 16 avril 1739, écrivait au prince, en mauvais français, pour lui représenter les dangers que la religion courait à Florence par les doctrines déistes et les turpitudes de ces réunions maçonniques ouvertes en Angleterre pour se divertir honnêtement, mais devenues en Italie une école d’impiété et de perversité. Il suppliait son altesse de prendre en pitié, avant son départ, l’imprévoyante jeunesse a qui buvait l’iniquité comme de l’eau, » de ne pas s’en reposer sur ses ministres, d’expulser les Anglais, de permettre l’arrestation des deux ou trois regnicoles les plus coupables, d’au-toriser l’archevêque et le provéditeur de l’université de Pise à y révoquer tous les anciens professeurs : faute de quoi, il menaçait d’envoyer au nonce ses lettres de rappel.

François de Lorraine, mis en demeure, ne pouvait se dérober, même en hâtant son départ. Il crut donner une satisfaction momentanément suffisante au saint-siège en adressant au secrétaire d’état du pape une dépêche très conciliante, et en faisant signifier au baron Stosch de quitter la Toscane dans les trois jours. Il se trompait. Le résident Mann se mit en travers pour sauver son espion :

  1. M. Sbiboli renvoie pour les mots entre guillemets à l’ouvrage flairant : Sacro Arsenale, ovvero Pratica dell’officio della S. Inquisitione, ann. 1653, avvertimento 58, p. 360.