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le docteur Crudeli. » Le marquis cherche à calmer ces remords tardifs ; il n’y parvient que par le conseil de s’en ouvrir à un bon confesseur, de s’en remettre à sa direction. Est-ce lui qui, au lieu d’indiquer un jésuite, indiqua un certain père Niccolò de Scansano, lecteur à l’université de Pise ? On ne sait. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce lecteur, ce professeur était un galant homme qui, honnêtement, enjoignit à Minerbetti de rétracter toutes ses fausses dépositions.

Ce n’était pas ainsi que l’entendait le pénitent. Minerbetti se rappelait les menaces de l’inquisiteur ; il tremblait encore au souvenir des chambres du saint-office et il n’y voulait à aucun prix remettre les pieds ; il entendait mettre en repos sa conscience à moins de frais. D’un coup d’œil, le confesseur eut jugé cette faible cervelle, et il n’insista pas. Il comprenait d’ailleurs que le sacré tribunal ne tiendrait aucun compte d’une rétractation verbale, et que mieux valait en avoir une écrite, qu’on enverrait directement à la congrégation de Rome. Impossible avec l’ancien nonce Stoppani, ami de l’inquisition et des jésuites, cet envoi pouvait être obtenu du nouveau nonce, leur ennemi. C’était un prélat milanais, Alberigo Archinto, évêque d’Apamea, qui fut plus tard secrétaire d’état de Benoît XIV, et dont les six ans de nonciature à Florence laissèrent chez les Florentins un souvenir affectueux, reconnaissant. Albizzi et les amis du prisonnier obtinrent aisément que la rétractation de Minerbetti partît pour Rome, dûment certifiée par un notaire.

C’était une lueur d’espoir, mais aussi un délai nouveau, et qui, dans cette captivité prolongée, empirait la maladie du captif. De plus, sa tête se prenait. N’était-il pas excusable de se laisser envahir par la monomanie de la persécution ? Dans les charges produites contre lui, il voyait l’œuvre du signor inchiostro, c’est-à-dire de l’encre du père inquisiteur, ou, comme il l’appelait, d’Harpagon. Durant ses interrogatoires, il croyait voir s’entr’ouvrir les portes des armoires de la chapelle et s’agiter derrière des gens apostés. Plus que jamais il craignait le poison. Des chaussettes noires, que lui envoyait son frère, lui paraissaient, par leur couleur, un présage de mort. Le 10 mai, un vaisseau se rompit dans sa poitrine, il vomit des flots de sang et il parut si près de perdre la vie qu’on ne crut pouvoir loi refuser plus longtemps un médecin. Celui qui fut appelé le saigna deux fois, — saigner était déjà la panacée en Italie, comme au temps où elle tuait Cavour, — et, après ce bel exploit, il ordonnait comme remède unique les derniers sacremens. Mais pouvait-on les administrer à un membre déjà retranché de l’église ? Un bon clerc, nommé Griselli, dominicain à San-Marco et ami de Rucellai, leva les doutes du saint-office et fit comprendre