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que sa main pouvait encore atteindre le détenu : il lui fit signifier d’avoir à ne pas entendre la messe, à ne pas demander les sacremens, s’il ne voulait encourir les peines portées par les saints canons ; il avertit le nonce que la culpabilité était certaine, que le coupable l’avait-avouée à son défenseur, lequel, par scrupule de conscience, n’avait pas cru qu’il pût dissimuler cet aveu au saint-office. Mais, toujours en défiance, l’honnête évoque d’Apamea mit sous les yeux du défenseur et de l’accusé cette communication, qu’ils démentirent tous les deux, à l’insu l’un de l’autre, avec une fermeté indignée. Pour preuve à l’appui de sa parole, le vieil Archi remit au nonce copie du procès, et la congrégation, à Borne, fut saisie de ce nouvel incident. La chose était grave, et pouvait s’aggraver encore si de nouveaux papiers étaient livrés. Le père Ambrogi envoyait donc en hâte son chancelier Montefiore réclamer au défenseur tous ceux qu’il pouvait avoir entre les mains. Ils étaient tous déjà dans celles du nonce. De là une vive altercation, qui prit fin par cette imprudence de Montefiore : « Votre Seigneurie pourra dire à Monsignor le nonce tout ce qu’elle voudra ; je jurerai sur l’hostie consacrée entièrement faux ce qu’elle aura dit. » Quel parti n’a pas ses zélés compromettans ?

C’est encore de Minerbetti que vint un nouveau pas vers le salut. Il vivait dans la terreur des Crudeli et se voyait déjà tombant sous leurs coups. Le moins qui lui pût advenir, c’est que Tommaso, redevenu libre, lui fit un bon procès. De nouveau il recourut à sa providence, le cousin Albuzi, et le cousin Albizzi obtint des membres de cette redoutée famille qu’ils jureraient de laisser en paix le chevalier, à condition qu’il se rétractât devant le tribunal civil, comme il avait fait devant le tribunal ecclésiastique, et qu’il s’employât pour l’élargissement du docteur. Ces engagemens réciproques furent pris dans les règles : par Minerbetti, puis par Tommaso dans sa forteresse, en présence de l’assesseur des Huit, et par tous les Crudeli à Poppi, devant le vicaire ou gouverneur civil de ce pays. Dans une belle lettre au marquis, le poète se déclarait, en outre, bien éloigné de tout juvénile désir de vengeance.

Enfin, le 5 août, le gouvernement avait connaissance de l’arrêt rendu par la congrégation, à Rome, sous forme d’une lettre adressée à l’inquisiteur de Florence. Il était enjoint au docteur Crudeli de se retirer, comme aux arrêts, dans sa maison paternelle de Poppi, et d’y rester tant qu’il n’en serait pas autrement ordonné. Une condamnation si adoucie prouvait bien que le saint-office tenait le péché, — si péché il y avait, — pour très véniel ; mais le père Ambrogi avait à sauver son amour-propre. Il voulait donc, dans la cérémonie où l’arrêt serait notifié au condamné, énumérer tous les