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Catt avait écrit son journal chaque jour du commencement de 1758 jusqu’au mois de juin 1760. Il s’en est servi plus tard pour rédiger à loisir quelques chapitres de mémoires où il a peint au naturel le héros de la guerre de sept ans. Mémoires et Journal avaient été relégués parmi les papiers d’état de la maison de Brandebourg. On vient de les retirer de la poussière des archives, et il faut en remercier l’éditeur[1]. Le Journal est un document d’une absolue sincérité, mais qui n’est pas toujours d’une lecture facile ni agréable. Il ne se compose guère que de notes très abrégées, très décousues, gribouillées à la hâte ; le grec et le latin s’y mêlent au français, et quel grec ! quel latin ! — « Quando habet des sujets molestiae, contradicit umcuique phrasi quae dicitur, est admodum θαυμαστέος de la minima ἔργα quae ποιεῖ… Il delectat sua opera cum ardore inextinguibili et praccipue de critiquer les autres vers. » Il suffit de parcourir ces notes pour s’assurer que Catt ne pensait point à les publier. Il y est question de beaucoup de choses qui n’ont aucun rapport avec l’histoire universelle ni même avec celle du grand Frédéric : — « Cette ville (Münsterberg) n’a rien d’intéressant. Il y avait foire. Tous ces gens-là ont à peu près la même physionomie. Je logeai chez une veuve, et l’on devait passer dans ma chambre pour aller dans la leur ; ainsi j’avais la vue de jolies filles.., J’avais vis-à-vis de mes fenêtres (à Neisse) une jolie fille coquette de quinze ans… Je logeai (à Littau), chez un boulanger parlant latin. Il avait une fort jolie fille… Arrivé à Holitz. Logé chez le maître d’école, qui avait une très belle fille, qui vint boire le café avec moi à minuit… Passé par Grüneberg, petite ville, où il y avait des paysans. Tout le monde était venu pour voir le roi. Il y avait trois jolis minois à une fenêtre qui saluaient pour se faire remarquer… Arrivé à midi à Rohnstock. Logé chez le maître d’école, où il y avait bien des vierges. Très bien. Je fus chez Sa Majesté avant dîner. Elle me déclama quelques morceaux de Bajazet… Je fus le soir. Nous parlâmes d’accouchement Il m’en fit la description, comme cela se faisait ; du système des ovaires. »

Les hors-d’œuvre, les jolies filles et les vierges ont entièrement disparu des Mémoires. Quand il les rédigea, Catt était presque sexagénaire et depuis longtemps il s’était marié et rangé, il avait les yeux et le cœur beaucoup plus tranquilles. Désormais sa seule préoccupation était de faire le portrait en pied du héros qu’il avait approché, et, subsidiairement, de prouver que Catt s’était formé à l’école de son patron, qu’il n’était plus aussi novice dans l’art d’écrire. Les Mémoires ont le défaut d’être une œuvre bâtarde, où la certitude des souvenirs est sacrifiée quelquefois à la recherche ambitieuse de l’effet. L’auteur

  1. Unterhaltungen mit Friedrich dem Grossen, Memoiren und Tagebücher von Heinrich de Catt, herausgegeben von Reinhold Koser. Leipzig, 1884.