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femme qui, de sang-froid, se fait bourreau ; une femme qui verse la mort en croyant verser l’amour, — voilà des situations qui, au théâtre, intéressent toujours le public ; » il s’est contenté d’assembler ces situations. Il n’a cherché ni une femme plutôt qu’une autre, ni un homme ; il n’a pas imaginé des héros, mais écrit des rôles ; il les a écrits du style que mérite cette sorte d’ouvrage : vif et net, par endroits, — se pourrait-il, chez M. Sardou, qu’il en fût autrement ? — par endroits aussi, impropre, et embarrassé. Théodore dit à Justinien : « Un empereur pourrait creuser des problèmes d’un intérêt plus urgent. » El Andréas à Théodora : « Avec la demi-virginité de ton veuvage, tu m’as joué la parodie de toutes les chastetés du corps. » Mais surtout ce qu’il faut remarquer dans certaines scènes, c’est l’abus des interjections, des mots explétifs, des répétitions, des phrases interrompues, tout ce faux appareil qui fait haleter le discours et simule la familiarité de la passion. A chaque ligne, c’est un : « Ah ! » et des points d’exclamation, et des points suspensifs. Faut-il s’en étonner ? C’est le style du mélodrame ; et qu’est-ce donc, en définitive, que cette Théodora, sinon un mélodrame romantique, encadré dans une féerie historique ?

Histoire et féerie, ces deux mots jurent ensemble ; il faut pourtant qu’ils s’accordent ici. M. Sardou a consulté les historiens et les architectes, il a visité les monumens de l’art byzantin ; il a remis à M. Duquesnel, à des décorateurs d’un grand mérite, à des costumiers d’un goût exquis, le soin de nous présenter le fruit de ses recherches. Le cabinet de Justinien, la crypte, un certain manteau de Théodora, et toute la pompe qui entoure l’empereur et l’impératrice dans leur loge, voilà autant d’objets d’admiration pour les amateurs. Tout cela est-il parfaitement exact ? Je consens à le croire. On me présente un neveu de Clovis, Charibert, attaché d’ambassade à Byzance ; chaque fois qu’il fait un mot, quelqu’un lui dit : « Parisien ! » Pour un peu, j’attendrais : « Boulevardier ! » Il y aurait, dans le décor et dans les costumes, aussi bien que dans le dialogue, un peu d’anachronisme que je n’en serais pas surpris. On joue impunément, de nos jours, le Misanthrope en habits du commencement du XVIIe siècle ou de la fin ; il arrive même qu’on mélange les uns et les autres. Une erreur de quatre ou cinq cents ans dans le cérémonial de la cour de Byzance, dans l’uniforme des gardes ou du préfet, dans la disposition de la loge impériale, ne me choquerait pas. J’admets qu’on s’en soit privé, qu’il n’y ait aucune fantaisie dans tout ce luxe, et je ne parle de féerie que pour faire entendre quelle est la magnificence du spectacle : au moins dois-je déclarer que cette magnificence accapare l’attention. Un compositeur, l’autre soir, à qui les morceaux de M. Massenet exécutés dans la coulisse n’avaient pas suffi, s’est écrié avec enthousiasme : « Il y aurait à écrire