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adversaires résolus du pouvoir ministériel, et partisans de gouvernement direct par les chambres ou par une chambre unique, s’est laissée aller sans avoir de parti-pris, mais par aveuglement ou par insouciance, à saper les bases de nos institutions financières et à préparer la destruction du budget et des finances de la France.


III

La législature actuelle est plus vieille que son âge. Elle parait avoir pris naissance en 1881, mais elle est, en réalité, la chambre des 363 ; elle date de 1877. On l’a nommée à cette époque pour se débarrasser d’une administration dont le pays ne voulait pas, et elle a eu pour mission de venger les républicains de tout ce qu’ils avaient eu à souffrir pendant la période du 16 mai. Notre parlement de 1877 ressemble beaucoup, sauf, bien entendu, la différence des temps, au premier parlement de Guillaume III, après la révolution de 1688, ce parlement de whigs irrités, qui n’a cessé de poursuivre de sa vengeance ceux qui avaient pris une part quelconque à la persécution des whigs pendant le règne de Jacques II. Une assemblée nommée pour un pareil objet n’est pas faite pour avoir un grand souci des principes financiers. On croyait d’ailleurs, en 1878, que les richesses de la France étaient inépuisables, et on ne sentait pas la nécessité de gouverner à bon marché.

C’est parce qu’on était sous une semblable impression qu’on a commis en 1880 l’imprudence fatale de retrancher d’un seul coup du budget 150 millions de recettes, dégrevant en même temps les sucres et les vins, pour contenter à la fois les départemens du Midi et ceux du Nord. On a abandonné 71 millions sur l’impôt des boissons, sans que les consommateurs aient profité de la centième partie de l’abandon qu’on avait consenti.

C’était le dernier mot de cette politique néfaste de dégrèvemens qu’on opposait alors à la politique de l’équilibre. — Le rapporteur général du budget de 1880 avait commencé son rapport par ces mots : « Messieurs, la chambre a inauguré dès 1876 une politique financière qui a reçu l’assentiment du pays : la politique de dégrèvemens. » Quelques mois plus tard, il s’associait à la grande suppression des 150 millions de ressources. Le budget, blessé à mort, ne devait plus se relever.

La chambre des députés n’avait pourtant pas fait cette imprudence de parti-pris ; elle avait cru à l’élasticité indéfinie des ressources budgétaires. Elle s’était trompée, on peut même dire qu’elle avait été trompée, mais elle avait agi de bonne foi. Elle a souvent écouté avec patience, quelquefois avec bienveillance, des conseils