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colonies nouvelles, les imaginations sont séduites. Les relations des colons avec la mère patrie ont pour effet d’attirer auprès d’eux leurs parens et leurs amis par l’appât de terres faciles à acquérir. Comme le courant de l’émigration allemande se porte surtout du côté des États-Unis d’Amérique, les hommes d’état de l’Allemagne se demandent s’il ne serait pas plus avantageux, au point de vue national, de diriger ce mouvement sur des colonies allemandes à fonder sur d’autres points du globe. Une fois établis en Amérique, les colons allemands ne restent plus Allemands de nation. Ils deviennent Américains en peu de temps. La nature propre de leur caractère les amène à accepter plus aisément que d’autres peuples une nationalité étrangère, avec sa manière de voir et de penser, ses mœurs et son langage. Dans ses chants patriotiques, Arndt a pu dire : « La patrie de l’Allemand s’étend aussi loin que résonne la langue allemande. » Avec autant de raison nous pouvons ajouter que l’Allemand se fait une patrie partout où il se trouve bien. Ubi bene, ibi patria est un axiome éminemment germanique, bien plus que latin. Sous l’influence d’un milieu nouveau, la transformation s’effectue d’autant plus vite que les rapports avec le milieu ancien, avec la mère patrie, sont moins fréquens. Émigré sur un autre territoire, au milieu d’un peuple nouveau, le colon s’assimile avec l’air qu’il respire les vues et les sentimens particuliers de ce peuple. Il change sans le savoir, sans en avoir conscience. Ses services profitent à la société dont il devient partie intégrante, les avantages de cette société lui reviennent ; Pour la masse des émigrans, le petit capital intellectuel importé du pays d’origine est bientôt remplacé par les acquisitions de la patrie d’adoption. L’influence de la première patrie s’arrête pour eux du jour où ils ont posé le pied sur la rive étrangère. La langue allemande continue à servir aux parens : les enfans naissent Américains. Dès 1819, les Allemands de Philadelphie, la ville des États-Unis la plus allemande à cette époque, n’étaient plus en état de rédiger dans leur langue maternelle les procès-verbaux de leurs réunions, parce que les relations des premiers colons avec l’Allemagne avaient à peu près cessé par suite des grandes guerres continentales. À New-York, où l’émigration allemande était alors plus faible, en 1794, les enfans des colons allemands ne savaient plus écrire l’allemand. Aucun lien intime, intellectuel, dit M. Kapp, un député au Reichstag, attaché naguère en Amérique au service de l’émigration, ne réunit les émigrés allemands de 1820 et de 1830 avec ceux de 1848. Aujourd’hui pas plus qu’autrefois les émigrans allemands n’ont de chance de créer des états allemands aux États-Unis, car 100,000 émigrans allemands en proportion de 50 millions