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tentions de sortir ; il nous rend ce bloc de choses qui est le monde extérieur, cette forêt de sensations brutes et de perceptions confuses dont la succession est notre existence intime.

Ce que nous venons d’écrire serait souverainement injuste si nous n’ajoutions aussitôt que le réalisme est nécessaire pour rappeler l’art au vrai, lorsqu’il s’égare dans des régions stériles et froides, au-delà des limites de notre atmosphère intellectuelle, pour le revivifier et le rajeunir, comme le mouvement de la Réforme a rajeuni et revivifié le catholicisme. Deux choses, d’ailleurs, peuvent ennoblir le réalisme : la pureté des intentions morales, qui tient lieu de goût, et la précision des peintures, qui donne à une toile de genre, à mesure qu’elle vieillit, la valeur et l’autorité d’un tableau d’histoire. Ni l’une ni l’autre de ces justifications n’a manqué à l’œuvre réaliste de William Hogarth.


III

Pénétrons d’abord, avec lui, chez les gens du bel air. Une jeune comtesse est à sa toilette[1]. Pendant que son valet de chambre français, — une figure simiesque et vicieuse, — l’accommode à la dernière façon de Versailles, un jeune légiste, qui remplace le petit abbé des gravures françaises, lui glisse des fadeurs. Si l’attaque est trop vive, le cornet qui protège les yeux de la comtesse contre la poudre, lui servira, au besoin, à déguiser sa rougeur. Un peu en arrière, deux ou trois caillettes parlent follement de choses graves, et sérieusement de choses futiles. Du cabinet de toilette, retournons au salon : nous y trouverons[2] une vieille dame et un vieux gentleman. Ils examinent ensemble un vase de Chine, avec ces affectations et ces grimaces propres aux gens bien élevés lorsqu’ils manient un bibelot. Sur le tapis, un énorme amas de cartes dit que, dans ce salon, on a joué l’hombre ou le reversi. Un peu plus loin, une jeune femme caresse indolemment un petit nègre. Un singe, fagoté en petit-maître, laisse échapper un menu, composé suivant les règles du grand Vatel. L’amour des potiches, la fureur du jeu, la cuisine et les modes de Paris, l’usage du nègre, employé à la fois comme joujou et comme repoussoir, voilà bien les manies du temps. Mais.tout cela ne nous apprend rien : ces gens-là sont des copies dont les originaux sont à Versailles.

Aussi bien, ce n’est pas chez eux qu’il faut chercher les viveurs et les coquettes. Bon pour les honnêtes gens d’attendre le plaisir au coin du feu : les désœuvrés de l’aristocratie vont le chercher aux

  1. Mariage à la mode, scène IV.
  2. Les Goûts du grand monde.