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Quoi que l’on puisse penser de cette doctrine au point de vue religieux, on accordera, sans doute, qu’elle n’est guère féconde au point de vue dramatique. Si le développement normal des caractères est une des lois du théâtre, il en est une autre, non moins essentielle, la transformation incessante des situations. Il faut que ces deux lois agissent en sens inverse, qu’elles mettent les caractères en lutte avec les situations : c’est ce combat qui nous intéresse. Si Polyeucte n’était que chrétien et n’était point le mari de Pauline, où serait la tragédie ? Si Harpagon n’était qu’un avare et n’était point l’amant de Marianne, où serait la comédie ? Si Manon n’était qu’une prostituée et n’adorait point Des Grieux, où serait le drame ? Rien de semblable dans le prétendu théâtre de Hogarth. On y chercherait aussi vainement cette fatalité shakspearienne, dont le caprice déroute les prévisions du sens commun, et tient l’intérêt en suspens. Pas de surprise, pas d’imprévu ; rien de cette anxiété douloureuse, que nous savourons au spectacle et qui résume en elle toutes les émotions dramatiques. Dès la première scène des Deux Apprentis, nous sommes prévenus que Frank est le bien et Tom le mal. Nous serions aussi étonnés de voir le premier commettre une mauvaise action que de voir le second montrer une velléité honnête. L’un monte, l’autre descend, avec la régularité du poids et du contrepoids : la chute de l’un et l’ascension de l’autre sont en raison inverse et proportionnelle. Encore si les figures, mises ainsi en parallèle, offraient le même relief ! Mais autant le vice est varié, pittoresque, autant la vertu est incolore et monotone. Ce n’est point un accident, car Hogarth a écrit plus tard ces lignes vraiment étonnantes : « Il est regrettable que la nature, qui a donné à la face humaine une telle diversité d’expression pour le mal, ne lui ait permis de rien, rendre, en fait de bons sentimens, si ce n’est le sens commun et la placidité. Esprit, vertu, raison, ne peuvent se traduire que par des actes et par des paroles. » Donc, paisiblement convaincu que la limite de ses facultés était la limite même de l’art, Hogarth a prodigué l’expression sur le visage de Tom Idle et de sa complice ; il n’a rien su écrire sur celui de Frank et de sa femme. N’est-ce pas assez pour des gens de bien d’avoir le nez au milieu du visage, les yeux à égale hauteur, la bouche moyenne, le menton rond et le visage ovale ? La figure de Tom est la plus émouvante des autobiographies ; la figure de Frank est une page blanche.

On ne s’étonnera donc pas si nous choisissons, pour nous y arrêter un moment, deux scènes où Tom joue le principal rôle, le départ pour les Indes et l’expiation finale. La première de ces deux compositions montre la puissance d’expression alliée à l’effet artistique, une action encadrée dans un paysage, le seul que Hogarth pût