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cosmopolitisme qui est la maladie. Or notre artiste était sain de corps et d’esprit. Le premier objet qui eût éveillé, chez Hogarth enfant, l’idée du ridicule, était probablement le mounseer de Leicester-fields, le pauvre aventurier français mourant de faim et prêt à tout, comme le Grœculus esuriens, du satirique latin. Plus tard, la nécessité d’appeler à son aide des graveurs français, et le sentiment de jalousie, peu déguisée, qu’il nourrissait contre plusieurs confrères de cette nationalité, notamment contre Liotard, fortifièrent cette disposition malveillante. Une aventure personnelle y mit le comble.

Dans le moment même où se négociait la paix d’Aix-la-Chapelle, Hogarth vint en France et séjourna pendant quelque temps à Calais. Il allait, se répandant en propos blessans contre le peuple au milieu duquel il se trouvait. Un de ses compatriotes, qui l’exhortait à plus de prudence, ne reçut en retour de ce conseil que des railleries sur sa propre lâcheté. Hogarth n’était pas, cependant, aussi brave qu’il pensait l’être, puisque personne ne comprenait un mot de ses rodomontades. Mais, un jour qu’il dessinait une des portes de la ville, on l’arrêta comme espion, et on le conduisit au commandant de place. Cet officier lui expliqua, avec cette politesse qui caractérisait les gentilshommes d’autrefois, qu’il aurait eu le regret infini de pendre ou de fusiller M. Hogarth si la paix n’eût été signée à point nommé pour lui sauver la vie. On se contenta donc de mettre l’artiste en prison dans sa chambre, sous la garde de son propriétaire, jusqu’au jour où on le renvoya en Angleterre, sans avoir songé, parait-il, à confisquer son esquisse. Hogarth la publia en guise de vengeance.

Au fond, on apercevait la porte traditionnelle qui donne accès dans toutes les villes fortes, avec sa longue voûte sombre, son pont-levis et sa herse. Près de cette porte, deux ou trois soldats faméliques, et une sentinelle, douée de cette raideur automatique que nous attribuons aux Prussiens dans nos caricatures. Un moine mendiant, informe d’obésité, un petit pâtissier dont la malpropreté inspire des préventions défavorables en ce qui touche sa marchandise, quelques commères, et enfin un couple, en quête d’un angle du glacis qui soit à l’abri, non des boulets, mais des regards : voilà, en quelques mots, la « Porte de Calais, » et voilà, — dans l’intention vengeresse de Hogarth, — la France en abrégé, avec son militarisme exagéré, ses superstitions idolâtriques, sa gourmandise malsaine et ses mœurs libertines. A tous ces personnages, qui symbolisent de si vilains défauts, l’artiste anglais a libéralement accordé le fonds dont il est le plus riche, la laideur.

Quelques années après, eh 1756, Hogarth publiait deux dessins sous ce titre collectif : l’Invasion. L’un montrait les Français se disposant à envahir la Grande-Bretagne, et l’autre, les Anglais se préparant à leur résister. D’un côté, on voit des gars solides et bien