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nourris, qui viennent s’enrôler avec enthousiasme, à ce point qu’un petit paysan se hausse pour atteindre au niveau de la toise. Plus lois, on instruit déjà les recrues, et le duc de Cumberland, monté sur un magnifique cheval blanc, est prêt à les passer en revue. Les soldats français, au contraire, font peine à voir, tant ils semblent exténués. On les nourrit, paraît-il, de soupes maigres et de crapauds rôtis. Il est vrai que leurs officiers leur promettent « le bon bier et le bon beuf de John Bull (sic), » mais John Bull défendra chèrement son bœuf et sa bière. Il n’y a de gras, en France, que les prêtres. Ces suppôts du fanatisme espèrent bien apporter la dîme et la messe de l’autre côté du détroit, à la suite des armées victorieuses ; ils aiguisent déjà la hache de la future inquisition… Pour répandre dans le public des notions si utiles et si exactes, le patriotisme de Hogarth ne regarda à aucun sacrifice. Les deux gravures de l’invasion furent mises en vente à un shilling la pièce : le plus bas prix auquel il fût possible de descendre en conservant un honnête bénéfice.

C’étaient là de faciles succès. Hogarth se flatta de réussir de même, en s’attaquant aux questions de politique intérieure. Lorsque les tories arrivèrent au pouvoir avec lord Bute, dans les premiers jours du règne de George III, l’artiste crut devoir à ses opinions comme à ses amitiés, de prendre publiquement la défense du ministère, contre lequel se déchaînait une véritable tempête d’impopularité. Il publia sous ce titre : l’Époque (Times), un dessin qui devait être suivi de plusieurs autres, puisqu’il portait le n° 1. On y voyait Pitt et son beau-frère mettant le feu aux quatre coins de l’Europe, tandis que lord Bute éteignait l’incendie. Le bruyant insuccès de cette caricature détermina Hogarth à abandonner la série commencée. Il changea de tactique. Il venait d’attaquer, dans Pitt, ce qu’il y avait de plus grand au sein du parti libéral ; il s’en prit alors à ce qu’il y avait de plus vil dans ce même parti, à Wilkes.

On nous assure que l’artiste et le journaliste avaient entretenu jusque-là des relations « amicales. » Qu’y avait-il de commun entre le consciencieux négociant de Leicester-Fields, et Wilkes, le banqueroutier ? Entre le dévoué mari de Jane Thornhill et l’homme qui avait essayé de spolier sa femme ? Entre l’honnête auteur du Rak’s progress, et l’impur auteur de l’Essay on Woman ? Entre le bourgeois qui n’a connu d’autre excès qu’un pot de bière de trop, vidé en compagnie de ses vieux camarades de jeunesse, et le complice de ces fêtes infâmes où Dashwood et Savile parodiaient les cérémonies de la religion, avec des raffinemens d’impudeur et des frénésies bestiales à étonner l’Arétin, et à faire rêver le marquis de Sade ? Hogarth et Wilkes se voyaient, cela est clair : on ne prouvera jamais qu’ils fussent amis. Lorsque Wilkes fut instruit de la