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prochaine publication d’un dessin de Hogarth en faveur du ministre, il le supplia de renoncer à son projet. Probablement, il entremêla ses prières de quelques menaces. Ni les unes ni les autres n’affectèrent Hogarth, et la caricature parut. Il était dangereux de provoquer Wilkes : c’était un maître d’escrime qui ne connaissait que les mauvais coups. Dès la semaine suivante, son journal, le North Briton, contenait un article où les faiblesses, les infirmités de Hogarth, ses amis, sa femme, tous les détails de son intérieur, tout ce qui constitue la vie privée, tout ce qu’on cache, par pudeur ou par crainte du ridicule, avec plus de soin qu’on ne cache une faute, tout cela était longuement, brutalement, méchamment dévoilé au public.

Hogarth s’avisa d’une vengeance très simple : il fit le portrait de Wilkes. C’était au cours du retentissant procès que le gouvernement intenta au journaliste à propos du quarante-cinquième numéro du North Briton. Dans un coin de cette vaste salle, au milieu de cette foule frémissante, l’artiste était assis, étudiant son ennemi, ne perdant ni un clignement d’yeux sarcastique, ni une grimace provocante, ni un sourire de défi, ni un dédaigneux haussement d’épaules ; au besoin, aidant sa mémoire de quelques coups de crayon, en guise de notes. Le procès se termina par un acquittement triomphal, mais la joie du démagogue fut quelque peu gâtée par l’apparition de son portrait. Portrait cruel, mais vrai : il est des gens qu’il suffit de peindre pour les diffamer. Les yeux louches disaient les voies tortueuses par lesquelles cet homme avait rampé au succès ; les grosses lèvres, baveuses et sensuelles, trahissaient le rhéteur et le libertin ; enfin, sur cette face vulgaire, impudente et fausse, Hogarth avait écrit lisiblement toutes les ambitions et tous les vices de ce Mirabeau sans éloquence et sans générosité.

Ce fut au tour des démocrates de se plaindre. Churchill le satirique, — une gloire aujourd’hui éclipsée et justement éclipsée, — vint au secours de son ami Wilkes. Comme il avait « flétri » Garrick, il prétendit « flétrir » Hogarth. Il lui adressa une épître indignée où il affectait de grands airs, et forçait le ton jusqu’à promettre à l’artiste coupable d’avoir reproduit le tribun dans toute sa laideur, a grave of shame, un tombeau d’infamie !

Jeune, Hogarth n’eût fait que rire d’une telle parole. Mais, aux mélancoliques approches du départ, ces choses sont douloureuses à entendre et font tressaillir celui auquel elles s’adressent jusque dans ses fibres les plus intimes. Un tombeau d’infamie ! à lui qui avait toujours vécu et travaillé pour le bien ! Il révisa son œuvre tout entière comme s’il eût voulu la prendre à témoin. Il avait déjà gravé, pour lui servir de frontispice, sa propre image, où il se montrait à la postérité escorté du fidèle Pug. Il voulut fournir