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résister, à l’oppression, de s’élever contre un pouvoir usurpé et de détendre ses libertés attaquées, quels sont les plus grands criminels ? N’est-ce pas nous-mêmes qui avons donné l’exemple à nos frères américains ? .. D’ailleurs, vous punissez toute une province, parce qu’elle renferme quelques paroisses mécontentes ! Vous châtiez jusqu’à ceux qui vous ont aidés à étouffer l’insurrection. » La loi obtint une grande majorité, et lord Durham passa au Canada, avec le titre de gouverneur et commissaire royal. Il commença par renvoyer le conseil spécial institué par Colborne, en nomma un autre composé de fonctionnaires et de militaires presque tous étrangers, choisit de nouveaux conseillers exécutifs et appela auprès de lui les gouverneurs des autres provinces pour discuter ses projets d’union fédérale. Il y avait eu des exécutions politiques dans le Haut-Canada, tandis qu’on n’avait pas osé faire de procès dans le Bas-Canada, parce qu’il aurait fallu trier sur le volet les jurés pour obtenir des condamnations. Afin de trancher d’un seul coup cette question, le commissaire royal prit sur lui de décréter, le jour même du couronnement de la reine Victoria, une amnistie générale dont il n’excepta que vingt-quatre personnes qui devaient être déportées aux Bermudes. L’humanité, la bonne politique, commandaient cette ordonnance, qui fut approuvée dans la colonie, mais elle exilait sans procès des citoyens, et, en Angleterre, on l’attaqua avec une telle violence que le ministère se trouva forcé de la désavouer solennellement. Blessé dans son orgueil, lord Durham donna sa démission avec éclat et repartit pour l’Angleterre, où il remit à lord Melbourne un long rapport très étudié dans lequel il conseillait ou bien une union fédérale de toutes les provinces, ou bien une union législative des deux Canadas, admettant volontiers que les législatures coloniales jouissent de la plénitude du gouvernement constitutionnel à condition qu’elles fussent britanniques en fait et en droit. Il appartenait à cette puissante école politique qui veut la liberté pour tout le monde, sauf un ou deux groupes, un ou deux partis.

Sur ces entrefaites éclata ce qu’on est convenu d’appeler la seconde insurrection du Bas-Canada, insurrection qui revêtit plutôt le caractère d’une tentative d’invasion, car elle partit des patriotes réfugiés aux États-Unis et des sympathiseurs, c’est-à-dire des citoyens américains qui les secondaient. Ils avaient fondé l’Association des chasseurs, qui comprenait quatre degrés : l’Aigle, le Castor, la Raquette, le Chasseur ou simple soldat. Chaque degré avait ses rites, ses signes de reconnaissance ; ainsi, pour savoir si quelqu’un faisait partie de la société, on lui disait : « Chasseur, c’est aujourd’hui mardi. » Il devait répondre : « Mercredi. » Tout initié prêtait serment d’obéir aux règles de l’association, d’aider les