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ses lieutenans an Tonkin, et ce qu’on peut espérer de son caractère, c’est qu’il restera un peu plus que M. le général Campenon dans les conditions régulières de gouvernement.

Les grandes questions de guerre ou de paix continentale qui ont si souvent troublé les esprits depuis bien des années sommeillent un peu aujourd’hui eh Europe. Elles sont remplacées par ces questions d’extension lointaine dont la diplomatie s’est éprise tout à coup, et nous vivons en vérité dans une période singulière qui s’appellera peut-être un jour l’ère des conquêtes coloniales. Chacun veut avoir maintenant sa politique coloniale. La France a la sienne avec cette entreprise du Tonkin, qu’elle parait résolue à pousser plus activement. M. de Bismarck a la sienne avec ses annexions incessantes et toujours nouvelles sur les côtes de l’Afrique, dans l’Australie, en Océanie. L’Angleterre a depuis longtemps sa politique coloniale qui se lie à ses traditions de suprématie sur les mers, et par son intervention plus récente en Égypte, par ses prétentions à la prépondérance sur le Nil, elle a pris une position particulière, qu’elle n’est pas arrivée encore, il est vrai, à faire reconnaître par l’Europe, sur laquelle on en est toujours à négocier. Le difficile est de savoir ce qui sortira de ce vaste travail qui ne suscitera sans doute aucun conflit sérieux entre de grandes puissances, mais qui peut avoir d’étranges résultats, à en juger par les évolutions, les combinaisons nouvelles qu’il a déjà déterminées. C’est là certainement un sujet de vives préoccupations pour les Anglais, qui se sont trouvés surpris par ce mouvement universel et imprévu, qui ne voient pas sans quelque anxiété la France aller au Tonkin, M. de Bismarck aller un peu partout, la Russie méditer peut-être une marche en avant au cœur de l’Asie, et qui ne peuvent arriver à en finir avec cette affaire égyptienne, devenue pour eux un inextricable embarras. Les Anglais sont dans une phase de mauvaise humeur un peu contre tout le monde, contre la France aussi bien que contre l’Allemagne ; Ils sont mécontens d’eux-mêmes, mécontens de leur gouvernement, qui ne leur a point assuré un rôle conforme à leur orgueil, et c’est ce qui explique peut-être le bruit de la chute prochaine d’un ministère qui n’a point été évidemment heureux dans sa politique extérieure, qui n’a été sauvé jusqu’ici que par la popularité de son chef et de sa politique intérieure.

C’est M. Gladstone, en effet, qui soutient le cabinet ou plutôt qui est tout le cabinet libéral, et il suffit du bruit d’une indisposition du premier ministre pour remettre tout en question. Le grand vieillard qui, après un demi-siècle de vie publique, gouverne encore l’Angleterre, et qui célébrait patriarcalement l’autre jour, dans son château de Hawarden, le soixante-quinzième anniversaire de sa naissance, a-t-il été réellement malade comme on l’a dit ? Il a eu besoin tout au moins de se dérober momentanément à l’agitation des affaires, d’aller prendre