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rehaussés d’or viennent se ranger autour de leurs étendards sur la terrasse du Py. Les portes de bronze du Kathisma s’ouvrent ; Justinien, entouré de ses grands officiers et suivi de gardes et d’eunuques, s’avance au bord de la tribune. Il porte le sceptre et la couronne. Les acclamations et les murmures éclatent et se confondent dans une immense clameur. Justinien appelle la bénédiction divine sur le peuple en traçant le signe de la croix avec le pan de sa trabea de pourpre.

Les chars entrent dans l’arène. Les acclamations cessent parmi les Bleus ; les rumeurs continuent dans l’amphithéâtre des Verts. Justinien patiente et feint de ne rien entendre. Mais, les murmures et les cris devenant plus nombreux et plus significatifs, il donne l’ordre à l’un de ses officiers, nommé le mandator, d’interpeller le peuple. Les Verts sont d’abord intimidés, et c’est respectueusement, presque humblement, qu’ils formulent leurs plaintes : — « Un grand nombre d’années à toi, ô Auguste Justinien ! Tu vaincras. Mais nous souffrons toute sorte d’injustices, ô toi qui es seul bon, et, Dieu le sait ! nous ne pouvons en supporter davantage. Nous n’osons pourtant nommer notre oppresseur de peur que sa faveur n’augmente et que nous ne courions de plus grands dangers encore. — S’il se passe de telles choses, je n’en sais rien, » répond prudemment Justinien par la voix du mandator.

À ces mots, le porte-parole des Verts le prend sur un autre ton, et le plus étonnant dialogue s’engage entre Justinien, les Verts et les Bleus, qui ne tardent pas à intervenir. Les formules serviles se mêlent aux invectives, les cris de colère aux plaisanteries ironiques, les invocations à Dieu aux plus horribles blasphèmes. Questions et réponses, plaintes et menaces se succèdent comme les strophes et les antistrophes d’un*chœur tragi-comique.

« — Quoi ! tu ne sais rien ? Quoi ! sainte mère de Dieu ! tu ne sais pas que celui qui nous opprime sans relâche est un officier de ton palais ? — Aucun d’eux ne vous a offensés. — Notre bourreau, c’est Calopodios, le chambellan et le gardien du glaive, ô notre maître à tous. — Mais Calopodios ne s’occupe pas de vous. — Ah ! qu’il ne recommence pas. Il aura le sort de Judas, Dieu lui donnera la récompense qui lui est due. — Êtes-vous venus dans l’Hippodrome pour insulter les magistrats ? — L’injuste aura le sort de Judas. — Taisez-vous, juifs, manichéens, samaritains ! — La mère de Dieu nous protège ! — Je vous dis, reprend le mandator en raillant, de vous faire baptiser jusqu’au dernier. — Qu’il soit fait comme tu l’as ordonné, ripostent les Verts en raillant aussi ; qu’on apporte ici l’eau lustrale, nous voulons être baptisés jusqu’au dernier. — Méprisez-vous la vie ? s’exclame Justinien, devenu furieux. — Chacun y tient. Si nous disons quelque chose qui te déplaise,