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édifices de la magnificence de Justinien. Tant de millions perdus ! ou plutôt que d’or transmué, par la plus belle des métamorphoses, en monumens superbes, manifestations éclatantes du génie de l’homme ! Dans la mosaïque de San-Vitale, à Ravenne, Théodora, le front nimbé, apparaît éblouissante de pierreries, de perles et de gemmes, comme une vierge byzantine dans le champ d’or d’un iconostase. Elle semble présider, sous les yeux de son époux, à la naissance d’un nouvel art grec qui durant de longs siècles va rayonner sur le monde.

Les deux grandes guerres de conquêtes de Justinien sont la guerre d’Afrique et la guerre d’Italie ; du côté des Perses, il s’agissait plutôt de protéger les frontières que de les étendre. Les campagnes contre les Vandales et contre les Goths, qui devaient donner au règne de Justinien la gloire des armes et rendre à l’empire presque tous les territoires qu’avait possédés l’ancienne Rome, Théodora, ambitieuse et hardie, contribua à les faire décider. L’esprit d’aventures, peut-être aussi la vanité de l’emporter sur les conseils pusillanimes de Jean de Cappadoce, qu’elle haïssait, et le désir de venger son protégé Hildéric, roi des Vandales, détrôné par Gélimer, l’engagèrent à pousser à la guerre d’Afrique. Pour l’expédition d’Italie, elle avait une autre raison. Ne pensait-elle pas que Rome soumise à ses armes, c’était le pape à sa discrétion, c’était le triomphe de ses opinions religieuses ? Les guerres engagées, on découvre souvent la main toute-puissante de Théodora dans les ordres aux généraux et aux ambassadeurs, les rappels et les nominations, les envois de renforts, les négociations diplomatiques, cette main qui, au moment de la reprise des hostilités avec la Perse, signait cette lettre à Zabernagès : a Je suis convaincue, depuis la mission que tu as remplie auprès de nous, de l’intérêt que tu portes à nos intérêts. Tu répondras à cette opinion en persuadant au roi Chosroës de prendre envers notre empire ἐς ἡμετέραν τὴν πολιτείαν (es hêmeteran tên politeian) des dispositions pacifiques. Si tu y réussis, je te promets les plus magnifiques récompenses de l’empereur, qui ne décide jamais rien sans me consulter. »

Jalouse de son pouvoir et sûre de sa puissance, cette femme ne souffrait pas qu’on résistât à ses ordres, ni qu’on lui fit la moindre opposition. Priscus de Paphlagonie, devenu secrétaire intime de l’empereur, s’était emparé de la confiance de son maître et affectait de ne considérer l’Augusta que comme la femme de l’empereur. Théodora chercha d’abord à le perdre dans l’esprit de Justinien par des paroles calomnieuses. L’empereur ne les écoutant pas, l’impératrice fit une nuit saisir Priscus dans sa maison. On l’embarqua incontinent pour l’Afrique, où, dès son arrivée, il reçut les ordres de prêtrise ; désormais il ne pouvait plus exercer aucune