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les voir sur les crêtes, et ne voulant pas rester en arrière, il donne au 37e l’ordre d’attaquer : « En moins d’une demi-heure, dit-il, je serai là-haut. » Pour arriver là-haut, au col où se tient avec l’élite de ses troupes et deux pièces de canon le bey de Titteri, il faut passer et repasser par les replis du sentier dont les lacets se multiplient à mesure que l’escarpement devient plus sauvage. Le bataillon a mis les sacs à terre ; conduit par le général Achard et le commandant Ducros, il monte ; des pierres, des quartiers de roc, des volées de balles font à chaque instant leur trouée dans les files, le bataillon monte toujours ; le voilà au niveau du col, devant cette entaille, cette brèche qui s’entr’ouvre de deux mètres à peine à travers la montagne ; la charge bat ; les deux pièces ont à peine le temps de tirer une dernière salve ; le bey, ses Turcs, ses Arabes, ses Kabyles sont abordés, refoulés, culbutés. Le premier Français qui est arrivé au col est un jeune officier d’état-major, aide-de-camp du général Achard, le lieutenant de Mac-Mahon. Quelque temps après, les bataillons du colonel Marion apparaissent sur la gauche et saluent de leurs acclamations les braves du 37e. Désormais la route de Médéa est ouverte ; le général en chef établit son bivouac sur le versant méridional de l’Atlas. C’était à quatre heures que le col avait été conquis ; à minuit, l’extrême arrière-garde y arrivait à peine.

Tel a été ce premier passage du Ténia, théâtre prédestiné pour des luttes sanglantes. Celle-ci coûtait au vainqueur deux cent vingt hommes hors de combat, dont vingt-sept morts et quatre-vingts blessés atteints grièvement ; le 37e comptait soixante-dix des siens sur cette liste glorieuse. Le soir même, à dix heures, le général Clauzel fit lire à toutes les troupes la proclamation suivante : « Soldats ! les feux de vos bivouacs qui, des cimes de l’Atlas, semblent dans ce moment se confondre avec la lumière des étoiles, annoncent à l’Afrique la victoire que vous achevez de remporter sur ses fanatiques et barbares défenseurs, et le sort qui les attend. Vous avez combattu comme des géans et la victoire vous est restée. Vous êtes, soldats, de la race des braves et les véritables émules, des armées de la révolution et de l’empire. Recevez le témoignage de la satisfaction, de l’estime et de l’affection de votre général en chef. »

Après cette rude journée, les troupes avaient besoin de repos. Dans la matinée du 22, quelques compagnies seulement allèrent incendier les gourbis des gens de Soumata. A onze heures, la brigade Achard reçut l’ordre de se porter en avant ; la brigade Duzer était laissée au col ; les blessés étaient confiés à sa garde. La colonne ne se composait donc plus que de six bataillons, des zouaves, de la batterie de montagne et de la cavalerie. La descente se présentait presque aussi malaisée que la montée ; le sentier toujours rocailleux