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sur nous… Croyez-moi, nos idées feront leur chemin, quand il y aurait cent tribunaux de l’empire… Vous n’êtes pas pour moi la justice, vous n’êtes que la force. Si nous disposions d’un certain nombre de corps d’armée anarchistes, je ne serais pas ici devant vous… le remercie mon avocat de la peine qu’il s’est donnée pour me sauver ; mais je ne suis pas ici pour me défendre. J’aime mieux finir sur l’échafaud que languir dans une prison. Prenez ma tête ; quand j’en aurais dix, je les sacrifierais avec joie pour hâter la fin de cette misérable, de cette abjecte société où nous vivons. » Comme Rupsch, comme Küchler, Reinsdorf a été condamné à mort. Il faut lui rendre cette justice que, s’il faisait peu de cas de la vie des autres, il a fait bon marché de la sienne.

M. Most, qui depuis deux ans s’est établi en Amérique, a prononcé à Philadelphie l’oraison funèbre de ce martyr en présence de plus de cent membres des divers groupes, portant tous à la boutonnière un ruban rouge : « Devant le tribunal, leur a-t-il dit, Reinsdorf était non un accusé, mais un accusateur, une Némésis de la révolution sociale. Cet homme m’apparaît comme un héros des temps antiques. Son mot d’ordre était court et net : au traître, la corde ; au mouchard, le couteau ; au piètre, le poison ; au bourreau, la balle, et au prince la bombe ! » Le défenseur de Reinsdorf à Leipzig, M. Fenner, a jugé tout autrement son client. Il l’a représenté comme un fanatique, qui avait juré d’obliger le monde à parler de lui, mais dont la santé était si profondément atteinte qu’après avoir manqué son coup, il n’avait plus de raison de tenir à la vie. À ce compte, il faudrait voir en lui une sorte d’Érostrate poitrinaire. Les Éphèsiens rendirent une loi qui interdisait de prononcer le nom du fou qui avait brûlé leur temple ; en dépit de la loi, ce nom n’a pas péri ; aujourd’hui encore, tout l’univers le sait. Si, comme Érostrate, Reinsdorf avait réussi dans son crime, il aurait comme lui conquis l’immortalité. Une mèche détrempée par la pluie a refusé, de s’allumer, et Reinsdorf tombera sûrement dans l’oubli.

M. de Bismarck., comme on sait, tient le socialisme d’état pour le moyen, le plus efficace de combattre les doctrines subversives. — « Proclamez le droit au travail, disait-il ; assurez l’ouvrier contre la maladie, contre les accidens, garantissez-lui l’existence quand il sera vieux. Si vous ne reculez pas devant les sacrifices, MM. les socialistes enfleront vainement leurs pipeaux, et nous verrons de jour en jour leur nombre diminuer. » Mais il estime que les mesures philanthropiques n’ont tout leur effet que lorsqu’on les accompagne de mesures, énergiquement, répressives. Aux termes de la loi votée en 1878 et prorogée le 10 mai de l’an dernier, par 189 voix contre 157, les autorités centrales de l’empire, moyennant l’assentiment du conseil fédéral, ont la