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le temps où nous sommes, que de la manière même d’écrire, et, par conséquent et au fond, de comprendre l’histoire.

Tandis qu’en France la nouvelle école, — la nouvelle école, c’est celle qui n’a rien produit, ni de longtemps, sans doute, ne produira rien encore, — érigeait en principe son impuissance même de produire, les Allemands, qu’elle se pique pourtant d’imiter, élevaient à la mémoire de leurs deux grands souverains du XVIIIe siècle les deux plus amples monumens qu’on leur eût encore consacrés. M. d’Arneth, à Vienne, composait sa grande Histoire de Marie-Thérèse, et M. Droysen, à Berlin, son Histoire de Frédéric le Grand. On a plusieurs fois, ici même, signalé l’intérêt, la nouveauté, l’importance de l’une et l’autre publication. Nos historiens, cependant, comme si des Allemands n’écrivaient que pour l’Allemagne, n’en persistaient pas moins à jurer toujours sur la parole de Sismondi, d’Henri Martin, de Michelet. La grande erreur de Louis XV, ou plutôt son crime irrémissible, était donc toujours d’avoir repoussé la main loyale que lui tendait Frédéric, et, pour qualifier l’aveuglement, ou la trahison même de ceux qui l’avaient jeté dans l’alliance autrichienne, les mots manquaient à notre indignation. Le vainqueur de Rosbach, mais l’ami de Voltaire et le protecteur de d’Alembert, continuait de faire ainsi des dupes parmi nous, quatre-vingts ans après sa mort. Les inoubliables leçons de l’année 1870 n’avaient pas eu cette force de nous ouvrir les yeux sur le passé. Et le duc de Broglie lui-même, dans le Secret du roi, touchant incidemment aux causes de la guerre de sept ans, parlait encore du fameux billet de Marie-Thérèse à Mme de Pompadour, ou n’osait qu’à peine plaider les circonstances atténuantes pour les inspirateurs de l’alliance autrichienne. On eût dit d’une légende qu’il fallait pieusement respecter, de peur d’être accusé de vouloir réhabiliter Louis XV, et, — qui sait, — peut-être l’ancien régime avec lui ? Mais nous commençons à comprendre aujourd’hui que le mépris du passé n’importe pas essentiellement à l’avenir de la France nouvelle ; qu’un jugement, non pas moins sévère, mais mieux motivé sur la politique française du XVIIIe siècle n’arrêtera pas les progrès de la laïcisation ; et qu’enfin l’histoire est l’histoire et non pas le pamphlet.

Si le livre de M. d’Arneth, et peut-être surtout celui de M. Droysen, contenaient assez de quoi nous éclairer et ramener l’opinion vulgaire à une plus saine intelligence des faits, ce fut bien autre chose quand parurent les premiers volumes de la Correspondance politique de Frédéric le Grand. En effet, c’était ici Frédéric en personne qui revenait corriger une histoire dont ses écrits publics avaient été jusqu’alors la principale source. Mais nos historiens attendirent encore : ils n’avaient pas assez de documens. On sait d’ailleurs que, selon les principes de la nouvelle école, la vérité n’est jamais dans un livre imprimé, mais toujours dans un document inédit ; et il est assez évident qu’un document