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tableaux et la diversité du ton. Il est d’autant plus remarquable qu’il est aujourd’hui plus rare. La monotonie règne dans l’école nouvelle : une intrigue de cour s’y raconte avec le même style qu’une négociation diplomatique, et l’on y parle des amours de Louis XV avec le même sérieux que de la bataille de Rosbach ou du traité de Paris. J’en sais bien l’une au moins des raisons. C’est encore la fureur de traiter, comme l’on dit, scientifiquement l’histoire. De même donc que le naturaliste ne croit pas qu’aucun, être vivant soit indigne de son attention, ni surtout que sa masse puisse faire d’un éléphant un objet plus intéressant qu’un ciron, de même pour l’historien, c’est assez qu’un fait se soit passé pour qu’il ait droit de cité dans l’histoire. Mais, de même encore que le naturaliste, dans ses classifications et dans ses descriptions, ne fait pas la place plus large au cèdre qu’à l’hysope et qu’il en parle exactement du même ton, de même aussi l’historien, quelque sujet qu’il traite, le traite par une rigoureuse application de la même méthode. Rien ne serait plus facile que de montrer ici, comme plus haut, le vice de cette comparaison de l’histoire de l’homme avec celle de la nature. Il suffira de dire que l’homme n’a d’histoire qu’autant qu’il se dégage lui-même et se sépare du reste de la nature. J’ajouterai qu’en déformant les proportions des événemens et les ramenant tous, pour ainsi dire, à la même échelle, on altère ce qui est un des principaux objets de l’histoire : les rapports des événemens. Et c’est en outre, on le voit bien, la ruine même de l’histoire comme art, n’y ayant vraiment d’art qu’à la condition d’un peu de perspective, de lumière, de couleur et de diversité. Heureusement pour nous que l’artiste, en M. de Broglie, n’est pas au-dessous de l’historien. Sans que l’unité du sujet y perde rien, chaque chapitre, dans ces quatre volumes, a sa couleur et vraiment son individualité. Du ton de la plus éloquente émotion, noble dans rhétorique et chaleureuse sans déclamation, comme dans la Retraite de Prague, le duc de Broglie passe à celui du plus élégant badinage ou de la plus pénétrante ironie, comme dans la Mission de Voltaire à Berlin ou comme dans la Maladie du roi. Et, dans l’un comme dans l’autre cas, c’est le même accent de justesse, la même et si rare appropriation de l’expression au sujet, la réalité de l’histoire avec les alternatives de ses combinaisons tour à tour tragiques ou amusantes.

Pour y réussir, il ne fallait pas moins que cette extraordinaire sour plesse de style que le duc de Broglie, ainsi’ que nous L’avons indiqué, semblerait avoir surtout acquise an contact et comme dans le maniement des affaires, dans l’intervalle qui sépare ces quatre derniers volumes des premiers chapitres du Secret du roi. Les premiers chapitres du Secret du roi remontent à quinze ans bientôt. Qu’il tût capable des hautes généralisations historiques et de la grave éloquence que demande