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la main de Marthe, il y a loin : André refuse. La belle Zézette, jusqu’ici, souriait maternellement, de ces mêmes lèvres qu’André avait connues amoureuses ; elle les retrousse davantage et montre les dents. « Vous ne pouvez marier votre sœur, dit-elle, que dans des conditions particulières. Il faut que son mari et la famille de son mari acceptent ou paraissent ne pas voir… — Quoi donc ? — Votre situation vis-à-vis de Mlle Brissot. — Qu’est-ce que cela signifie ? — Cela signifie que vous êtes son amant. » La belle Zézette a lâché le mot avec la facilité qui lui est naturelle. Est-ce une injure dans sa bouche ? André parait croire que c’en est une ; il proteste avec une indignation qui ne peut que l’offenser. Elle s’excuse par la vraisemblance de la chose : « D’autant plus, ajoute-t-elle… — D’autant plus ? — Que vous ne seriez probablement pas le premier. »

« Pas le premier ! » Voilà l’oracle que le nouvel Œdipe s’obstine à presser, dût la vérité qui en jaillira le frapper mortellement. L’amour blessé s’est éveillé, il s’agite ; et chacun de ses mouvemens, le faisant souffrir davantage, le fait se mieux connaître. Mme de Thauzette, après de vagues réponses, s’est dérobée aux questions : c’est l’honnête Brissot qu’André interroge le premier après elle, avec un sang-froid feint, sous couleur de l’interroger sur le passé des Thauzette. Brissot ne sait rien, sinon qu’un projet de mariage avait été formé, alors que les deux familles étaient pauvres : Denise et Fernand s’aimaient comme deux enfans élevés ensemble. Un jour M. de Thauzette a conçu pour son fils l’espoir d’un parti mieux renté : le projet a été rompu. Denise est tombée malade de chagrin ; elle est allée se guérir dans le Midi ; depuis, elle a pardonné, elle a oublié. Brissot ne sait rien de plus. Mais au nom de Fernand, les soupçons errans se sont rassemblés ; leurs mille aiguillons ne font plus qu’une plaie. Si Fernand a séduit Denise, Mme de Thauzette, en effet, était bien placée pour le savoir. L’a-t-il séduite ? Désormais cette idée obsède le héros : il ne peut plus que s’en délivrer dans une certitude heureuse, ou s’abîmer avec elle dans une certitude abominable. Comment parvenir à l’une ou à l’autre ? Il consulte son ami Thouvenin, il lui ouvre son cœur ; il fait sur lui-même, devant cet homme vertueux, une étude passionnée de la méfiance et de la jalousie ; il lui fait suivre la marche du poison dans ses idées et ses sentimens ; il s’irrite en psychologue, mais en psychologue furieux d’amour, contre l’impossibilité de pénétrer la conscience d’une autre personne. Thouvenin, avec une candeur virile, lui conseillé de s’adresser directement à Denise : qu’il lui demande d’être sa femme, elle dira la vérité. — D’autre part, le dévoûment amoureux de Denise s’exalte, et la courageuse jeune fille se prépare au sacrifice. Après un entretien avec Fernand, Mlle de Bardanne s’est plainte à son frère de la surveillance de sa compagne ; elle a imputé à son influence l’échec de Mme de Thauzette ; elle a exigé son renvoi ; ne l’ayant pas obtenu,