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brouillards et tempêtes. De plus, — la jetée de Calais, les abords de Douvres et la rade de Marseille en savent quelque chose, — les pilotes sont rares qui conservent leur sang-froid dans cette atmosphère troublante que la majesté des rois répand autour d’elle. Quand, le 15 juillet 1538, l’empereur Charles-Quint, accompagné de vingt galères françaises, partit de Marseille, sur la capitane d’André Doria, pour se rendre à Aigues-Mortes, où l’attendait le roi François Ier, il n’était pas à 10 milles du port qu’il s’éleva un brouillard si épais, qu’on ne pouvait de la poupe distinguer ce qui se passait à la proue. La nuit survint et fut très laborieuse. Quelques galères françaises faisaient route au midi ; d’autres, sans le soupçonner, se dirigeaient à l’est ; il y en eut qui retournèrent, égarées, à Marseille. Dépourvues probablement de boussoles, toutes s’imaginaient faire bonne route vers Aigues-Mortes. L’escadre de Charles-Quint, s’en fiant, au contraire, à l’aiguille aimantée, dont l’usage était, depuis quelques années, devenu général sur la flotte espagnole, gardait le cap à l’ouest. Dans ce désordre, des collisions nombreuses se produisirent : la galère de l’empereur fut abordée par une autre galère qui lui mit son gouvernail en pièces. On naviguait à la voile, le vent était très frais : la situation devint bientôt critique. L’empereur, le prince Doria, ne se couchèrent pas de la nuit : de tous côtés on tirait des coups de canon pour essayer de rallier les galères. Celle du cardinal Granvelle avait donné sur une roche et demandait par signaux du secours. La brume ne se dissipa que le lendemain vers midi. On reconnut la terre : la galère capitane se trouvait à 10 milles d’Aigues-Mortes ; le gros de la flotte en était encore à plus de 30 milles. À huit heures du soir, toute la flotte jeta l’ancre à un mille du port, fort émue de sa traversée.

Qu’eût-ce donc été si les corsaires barbaresques se fussent mis de la partie ? Au mois de septembre 1575, quatre ans après la bataille de Lépante, Cervantes, embarqué sur la galère espagnole le Soleil, allait, en compagnie de son frère Rodrigue, de Pero Diaz Carillo de Quesada, ancien gouverneur de La Goulette, et de beaucoup d’autres personnes de marque, chercher dans sa patrie un repos noblement gagné. Le 26 septembre, le Soleil tomba au milieu d’une escadre de galiotes commandée par l’Albanais Mami, amiral d’Alger : trois vaisseaux algériens attaquèrent la galère espagnole. Après un combat opiniâtre, il fallut se rendre. Cervantes, emmené captif dans Alger, y resta prisonnier cinq ans. Après mille péripéties plus émouvantes les unes que les autres, il finit par être racheté au prix de 500 écus d’or, environ 20,000 francs. Sa fortune ne se releva jamais de ce coup funeste.