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de lui un regard satisfait : c’est la puissance de son souverain qui s’affirme.

Lorsque l’armée de saint Louis débarqua en Égypte, ce fut, au dire de Joinville, le comte de Jaffa qui « aborda le plus noblement. » À l’extérieur et à l’intérieur, sa galère était peinte d’écussons à ses armes ; mise en mouvement par trois cents, rameurs, elle avait pour chaque rameur une targe aux armes du comte, surmontée d’un pennon avec armoiries dorées. Les cinquante avirons battaient l’eau en cadence, pendant que les timbales, les tambours et les cors sarrasins qui se trouvaient à bord menaient si grand bruit, qu’on eût cru entendre le fracas du tonnerre. Le comte échoua sans hésiter son navire à la plage : les chevaliers purent descendre sur le sable à pied sec. Saint Louis, au contraire, avait dû sauter de son vaisseau dans la mer et gagner le rivage l’écu pendu au cou, la lance en main, le heaume en tête et de l’eau jusqu’aux aisselles. L’entrée de don Juan d’Autriche dans le port de Messine, sans avoir été, comme le débarquement sur la plage de Damiette, une opération de guerre, n’en est pas moins restée célèbre. Nos pères attachaient une extrême importance à la pompe de ces cérémonies qui flattaient sans doute leur orgueil, mais qui avaient aussi l’incontestable avantage d’exalter les esprits et d’exciter le zèle.

Aussitôt que la fumée des saluts s’est dissipée et que l’infanterie a posé les armes, ordre est donné au quartier de proue de voguer. La flotte se dirige à pas comptés vers le mouillage. Chaque galère donne fonde au fur et à mesure qu’elle arrive à son poste. Dès que toutes les galères ont jeté le fer, le comité réal avertit la chiourme, « qu’il faut mettre le caïcq à la mer » et bientôt après « qu’il faut dresser la tente. »

Voilà donc la galère revenue au mouillage : jetons un dernier coup d’œil à bord. Après quelques jours de repos, la chiourme a repris ses exercices : un capitaine soigneux n’aura garde de laisser les bras des forçats se rouiller ; l’exercice de la vogue deviendra le fructueux passe-temps de l’équipage, objet de sa sollicitude. Cet exercice ne s’exécutait pas, comme la charge du fusil, en douze temps ; il s’exécutait en dix-huit. Chaque temps était marqué par un coup de sifflet :

1er temps, La chiourme se dresse en pieds ; — 2e temps. Elle ôte le bonnet et le capot ; — 3e temps. Elle enlève la chemise ; — 4e temps. Elle s’assied sur le banc ; — 5e temps. Elle met le pied droit sur la pédague ; — 6e temps. Elle empoigne les rames ; — 7e temps. Elle plonge les rames dans l’eau ; — 8e temps. Elle relève les rames et les fournelle ; — 9e temps. Elle se dresse en pieds ; — 10e temps. Elle prend en main la chemise ; — 11e temps.