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je ne sais plus trop lequel, — qui, de sa vie, ne coupa tête de Turc, mais qui, en revanche, gardait des caravanes que les galères de la religion faisaient annuellement dans les mers du Levant, un très fidèle, très complet et très intéressant souvenir. On menait alors joyeuse vie au mouillage de L’Argentière, petite île située presque en face de Milo, île à peu près neutre et déserte, d’où l’on ne bougeait guère. C’était ainsi qu’on s’imaginait continuer la tradition des Foulque de Villaret et des Pierre d’Aubusson. Suffren fut commandeur de Malte, puis bailli. Ce titre ne lui valut jamais qu’une prébende. Ce n’est pas, autant qu’il m’en souvienne, sur les galères des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem qu’il fit ses premières armes. Je n’ai lu nulle part que le vainqueur de Gondelour et de Trinquemalé ait appris, à l’exemple de Tourville, à battre les Anglais, en combattant les meilleurs alliés de son maître.

Constitué en 1481 et presque toujours recruté dans la plus haute noblesse, le corps des galères de France devança dans la tombe le corps des galères de Malte : il disparut — nous l’avons déjà dit — en 1748. Depuis plus d’un siècle déjà le corps des officiers de vaisseau, qui s’arrogeaient le privilège de s’appeler « le grand corps, » supportait avec impatience la concurrence d’une marine jugée par les meilleurs esprits inutile, et, en ces temps d’embarras financiers, cruellement dispendieuse. « Les galères, écrivait en 1630 Jean-Jacques Bouchard, ne servent de rien qu’à consumer de l’argent. Elles seront des cinq ou six ans sans se mouvoir du port ; les corsaires d’Afrique viennent poursuivre les vaisseaux jusque sur nos rades sans qu’elles remuent. La plus grande utilité qu’elles apportent, c’est qu’elles servent comme d’un enfer à tourmenter les méchans. »

« Inutile, la galère ! s’écriait Barras de La Penne dans les volumineux manuscrits auxquels j’ai fait de si nombreux emprunts et dont je voudrais, en terminant, présenter encore une rapide et dernière analyse. Inutile ! Mais qui donc, au mois d’août de l’année 1304, a vaincu les Flamands ? Qui leur a pris soixante gros vaisseaux, noyé ou fait captifs plus de dix mille soldats ? Qui eût, en 1340, changé le sort de la bataille de L’Ecluse, si la mer eût été moins grosse ? Qui défendit, en l’année 1512, la côte de Normandie ? Qui coula en 1545 la Marie-Rose, montée par le vice-amiral d’Angleterre ? Qui embarqua, en 1548, à Leith, la jeune reine d’Ecosse et l’alla débarquer à Brest, pendant que la flotte anglaise l’attendait entre Calais et Douvres ? Dira-t-on que ce furent des vaisseaux ronds ? Ne sont-ce pas des galères qui, en 1549, ont donné la victoire à Léon Strozzi, grand prieur de Capoue ; des galères encore qui, sous les ordres du baron de La Garde,