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que les sommes provenant de l’aliénation formeraient un fonds spécial qui serait réparti entre les municipalités pour les besoins de l’instruction et les chemins : les traitemens annuels et allocations précédemment octroyés aux ministres du culte seraient continués leur vie durant. Après bien des débats, la question de la tenure seigneuriale fut résolue dans le même esprit de conciliation : en introduisant au Canada un régime seigneurial très adouci, les rois de France avaient cherché avant tout à favoriser la colonisation, et c’est ainsi que tout émigrant pouvait réclamer l’étendue de terre qu’il voulait sans rien payer tout de suite au seigneur ; celui-ci possédait la terre, non pour lui-même, mais pour ceux qui le représentaient à la condition expresse de la défricher. Toutefois, le système avait fait son temps, il paralysait les progrès de l’industrie, de l’agriculture, et il tomba au milieu d’applaudissemens unanimes : seul ou presque seul, M. Papineau l’avait défendu en 1850, disant qu’il était fondé sur la justice, et que son abolition n’avait pour patrons que des mendians de popularité : le seigneur reparaissait sous le démocrate à tous crins. En même temps qu’elle accordait une indemnité qui finit par atteindre le chiffre de 6 millions de piastres, la loi proclama l’affranchissement du sol et de toutes les charges qui le grevaient, sauf une légère rente foncière rachetable à volonté, et cette grande révolution économique s’accomplit sans aucun trouble, sans la moindre commotion.

La théorie de la double majorité ne laissait pas non plus de soulever de fréquens conflits : en principe, l’union des deux Canadas n’ayant constitué qu’une seule province, une simple majorité semblait devoir la gouverner ; mais M. Baldwin ayant abandonné son portefeuille, parce que la majorité du Haut-Canada ne l’avait pas suivi dans une motion d’intérêt secondaire, on en vint, par une sorte de raffinement constitutionnel, à considérer que le ministère devait la commander dans chaque section. Poussée à l’extrême, cette théorie eût abouti à rendre toute administration impossible ; entendue d’une manière raisonnable, elle se réduisait à ceci : par suite de la position spéciale des deux races, les représentans de l’une ne pourraient s’opposer aux réclamations de l’autre ; en un mot, la majorité simple suffisait à la législation générale, elle devenait injuste lorsqu’il s’agissait d’une législation particulière. Au reste, cette doctrine n’arriva-jamais à prévaloir d’une manière complète et indiscutable, et ceux qui l’invoquaient le plus dans l’opposition se firent parfois un jeu de ne point la respecter quand ils eurent le pouvoir.

Depuis quelque temps déjà, l’opinion publique se prononçait avec une vivacité extrême contre la composition du conseil législatif, qui, nommé par la couronne, investi d’attributions à peu près semblables