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libéraux qui semblent séparés par un abîme, ne diffèrent guère que par des nuances, et en général ils ne recherchent que le pouvoir avec ses avantages directs, sans ces concussions, sans ces spéculations qui en d’autres pays produisent tant de scandales. Les ministres, quand ils se retirent des affaires, reprennent leur ancienne fonction ou sont nommés juges par la reine, et l’un d’eux racontait, non sans fierté, qu’un de ses confrères des États-Unis, apprenant qu’au bout de quinze ans de ministère, il n’avait pas augmenté sa fortune, l’avait amicalement traité d’imbécile. Un autre fait remarquable, c’est la longévité de leurs hommes d’état : voici, par exemple, sir John Mac-Donald, né premier ministre comme d’autres naissent chefs d’opposition, possédant ces rares instincts que Royer-Collard appelle la partie divine de l’art de gouverner, habile à discipliner une majorité, à se concilier l’affection de ses partisans et ayant trouvé la solution de ce problème difficile : la création de l’ouvrier tory ; ses compatriotes le comparent à lord Beaconsfield. Il est député depuis quarante ans, il a été trente ans ministre ; depuis 1854, si l’on excepte le ministère Brown-Dorion, qui dura quarante-huit heures, le cabinet libéral de 1863 et 1864, l’administration Mackenzie de 1873 à 1878, il a fait partie de tous les gouvernemens qui se sont succédé : il y rencontre des Canadiens français dignes de voir leurs noms associés au sien, M. Cartier, mort en 1873, sir Hector Langevin, MM. Chapleau et Caron, qui, dans le ministère fédéral, représentent aujourd’hui la province de Québec.

Ce n’est pas à dire pour cela que les électeurs se considèrent comme inféodés à leurs élus et que ceux-ci puissent disposer de leurs suffrages comme de ceux d’un bourg pourri[1]. La plupart ont eu à pâtir des caprices populaires et, en 1878, sir John Mac-Donald s’est vu préférer, par la ville de Kingston, qu’il représentait depuis trente et un ans, un homme obscur, candidat de M. Mackenzie : mais à peine commise, la faute se trouva aussitôt réparée,

  1. Les Canadiens regardent l’électorat comme une fonction, non comme un droit naturel et les conditions varient selon les provinces. Par exemple, dans Ontario et Québec, on exige que le citoyen anglais soit principal locataire ou tenancier de propriétés valant à la ville 300 piastres, et dans les campagnes 200 ; ou bien qu’il possède au revenu de 30 piastres à la ville, de 20 à la campagne. — Au Nouveau-Brunswick, il doit avoir des propriétés foncières pour 100 piastres, ou 400 de valeurs mobilières, ou un revenu annuel de 40 ; au Manitoba, est électeur tout sujet anglais après trois mois de résidence, s’il possède une propriété foncière de 100 piastres, ou s’il est locataire de biens-fonds valant 200 ou payant 20 piastres de rente. Dans la Colombie anglaise, il suffit d’être sujet anglais et d’avoir douze mois de résidence dans son district électoral. — Les sénateurs fédéraux doivent avoir trente ans au moins et posséder 4,000 piastres de propriétés foncières dans la province de Québec ; tout candidat à la députation doit être sujet anglais et propriétaire ou tenancier de terres valant au moins 2,000 piastres. — La piastre, comme le dollar, vaut 5 francs.