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langue morte. Qu’il se glisse maintenant, à côté des mots du cru, nombre d’anglicismes et de barbarismes, quoi d’étonnant en un pays où fleurit le régime parlementaire, cet ennemi naturel de la littérature, et, qui plus est, un parlementarisme bicéphale, fédéral, provincial et polyglotte ? Ne cherchez donc pas le purisme au prétoire, ni au parlement ; sauf quelques bons orateurs comme MM. Chauveau, Chapleau, Mercier, Laurier, sir Hector Langevin, la tribune canadienne nous offre bien peu de modèles de l’art de bien dire[1].

Ce n’est pas non plus la presse qui aurait le droit de se poser comme une vestale du beau langage, mais il faut reconnaître qu’elle a, elle aussi, rendu le plus important service au français, en le vulgarisant, en le monnayant pour ainsi dire, et faisant l’éducation politique du peuple. De même que le chemin de fer a détrôné la diligence, ainsi le journal a remplacé le Quêteur, ce trouvère de la jeune France, sorte de gazette vivante, qui jadis, allait de paroisse en paroisse et, le soir, à la veillée, colportait les nouvelles et cancans, la chronique et la rumeur publique. Aujourd’hui le carré de papier pullule, et sans parler des journaux anglais, on en compte dix français à Québec, six à Montréal, trois aux Trois-Rivières, deux à Saint-Hyacinthe, à Saint-John, plusieurs au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, tous remarquables par la ferveur de leur patriotisme, par leurs annonces qui s’étalent, à la mode américaine, en première page, à côté des articles de fond, et aussi, hélas ! par la véhémence de leurs polémiques : plusieurs, comme le Canadien, la Presse, le Monde, la Patrie, atteignent et dépassent un tirage de dix mille. Un des plus anciens et des mieux rédigés est assurément la Minerve, de Montréal, qui traite avec soin les questions locales et publie assez souvent de bonnes études sur la colonisation, l’agriculture et le commerce. « Vous me demandez pourquoi notre presse ne se pique guère d’atticisme, me disait un Canadien : cela tient aux souvenirs d’autrefois, au temps peu éloigné encore

  1. En dehors des ouvrages cités dans cette étude, je signalerai encore ceux-ci : Maximilien Bibaud, Mémorial des vicissitudes et des progrès de la langue française au Canada. — Oscar Dünn, Glossaire franco-canadien. — Benjamin Sulte, Histoire des Canadiens-Français, Au Coin du feu, Mélanges d’histoire et de littérature. — J. Barthe, le Canada reconquis par la France. — Gagnon, Chansons populaires du Canada. — Lareau, Histoire de la littérature canadienne. — Buies, le Saguenay. — Louis H. Taché, la Poésie française au Canada. — Routhier, A Travers l’Europe, 2 volumes in-8o ; Québec : — Faucher de Saint-Maurice, Œuvres complètes, 3 volumes. — L’Histoire de cinquante ans, par M. Bédard. — Histoire des grandes familles canadiennes, par l’abbé Daniel. — L’Histoire des Abénakis, par l’abbé Maurault. — Histoire de la Colonie française au Canada, par M. Faillon. — Sylva Clapin : la France transatlantique, 1 vol. ; Plon.