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des tribus indiennes et où il a su, tout en écrivant avec simplicité, conserver la couleur locale, la senteur du terroir laurentien. L’Évangile ignoré, l’Évangile prêché, l’Évangile accepté, sont les sous-titres de ces récits que l’auteur déclare lui avoir été inspirés par ces paroles pittoresques d’un vieux sauvage : « Dans c’temps-là,.. tu vois ben,.. les sauvages… pas la religion,.. toujours, toujours du sang,.. pas la chalité… — Quand les patliaches venir, nos gens surpris… pas accoutumés,.. malaisé pour comprendre ; .. fâchés quasiment. — Aujourd’hui… Ah ! ah ! ., pas la même chose du toute ; nous autes comprend tout,.. la r’ligion, tu sais ben. » — Dans un autre genre, M. de Gaspé, avec ses Anciens Canadiens, M. Joseph Marmette, avec ses romans historiques, se sont acquis une réputation méritée ; rendre plus populaires, en les dramatisant, les temps héroïques du Canada, tel est le but poursuivi par ce dernier dans quatre ouvrages, le Chevalier de Mornac, la Fiancée du rebelle, François de Bienville, l’Intendant Bigot : l’un d’eux a obtenu l’honneur d’une traduction en anglais. Si M. Marmette s’attache à plaire d’une façon parfois trop exclusive aux amateurs des couleurs outrées, il mérite l’approbation unanime par de brillantes qualités descriptives et narratives, ainsi que par un réel talent de mise en scène. J’ai lu aussi quelques pages agréables dans Angéline de Montbrun, roman de Mlle Laure Conan, qui, par son spiritualisme raffiné, sa mélancolie et la grâce de ses paysages, se rattache visiblement à l’école d’Eugénie de Guérin et de Mme Swetchine.

Quels sont maintenant le caractère, la mission et l’avenir de la littérature canadienne ? M. J.-C. Taché a répondu à cette question dans la préface de ses trois légendes, de telle sorte qu’on ne peut que souhaiter de voir son vœu se réaliser et les Canadiens demeurer fidèles à eux-mêmes. « Nous sommes nés, comme peuple, du catholicisme, dit-il, du XVIIe siècle et de nos luttes avec une nature sauvage et indomptée ; nous ne sommes point fils de la révolution et nous n’avons pas besoin des expédiens du romantisme pour intéresser des esprits qui croient et des cœurs encore purs. Notre langage national doit donc être comme un écho de la saine littérature d’autrefois, répercuté par nos montagnes aux bords de nos lacs et de nos rivières, dans les mystérieuses profondeurs de nos grands bois. » Se retremper sans cesse dans l’étude du passé, ressusciter les glorieuses annales, recueillir avec un soin pieux ses légendes, s’identifier aussi avec le présent, peindre les mœurs, la vie sociale contemporaine, noter et nous traduire la majestueuse symphonie de la terre canadienne, ne jamais perdre de vue cette pensée de Carlyle que l’univers est un temple aussi bien qu’une cuisine, tel est, pour longtemps encore, le rôle, le devoir des écrivains