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S’ensuit-il que les eaux du Rhône ne puissent rendre aucun service effectif à la navigation, qu’elles doivent être religieusement maintenues dans leur lit, endigué à si grands frais pour le résultat que nous venons de voir ? Telle n’est pas ma conclusion. Je crois que les eaux du Rhône, bien dirigées, pourraient être aussi utiles au commerce et à l’industrie qu’à l’agriculture ; mais, pour cela, il faut que « le chemin qui marche » n’ait plus ses allures désordonnées ; il faut qu’on sache distinguer en lui ou dans la voie nouvelle qui devra le remplacer deux choses essentielles : la voie elle-même disposée en une série de paliers sensiblement horizontaux, dans lesquels l’eau n’aura plus qu’une faible vitesse, et la force motrice, qui, cessant d’être nuisible, s’accumulera d’elle-même dans les chutes créées aux barrages de séparation, où elle pourra recevoir un emploi utile.

Il faut, en outre, — et la question n’est pas moins importante, — que la voie navigable ne soit plus constituée de telle sorte qu’elle exige une batellerie spéciale, mais qu’elle soit accessible aux bateaux et aux navires de toute forme, de toute dimension, qui puissent la parcourir librement en tout sens, sans être obligés de rompre charge à leur point de départ. Un pareil mode de transformation ne peut être évidemment appliqué au fleuve lui-même. Il ne saurait être réalisé que par l’établissement d’un canal plus ou moins parallèle qui, partant de tel point qu’on voudra choisir à l’amont, débouchera à l’aval dans un grand port de mer. Un semblable canal ne pourrait avoir moins de 7 mètres de profondeur sur 60 mètres de largeur moyenne, soit une section de 420 mètres. Or, dans ces conditions, il n’y aurait nul inconvénient à ce que, en sus, de l’eau qui serait rigoureusement nécessaire au service spécial de la navigation, soit une vingtaine de mètres cubes à la seconde pour le jeu des écluses, ce canal débitât, en outre, une partie notable des eaux du fleuve, les 100 mètres cubes que nous avons reconnus être nécessaires aux besoins agricoles de la rive droite. Avec cette portée totale de 120 mètres cubes, les eaux n’auraient qu’une vitesse uniforme et constante de 0m, 28, inférieure à celle de nos rivières les plus paresseuses, qui ne saurait constituer un obstacle appréciable à la navigation, aussi facile à la remonte qu’à la descente.

Dans les conditions naturelles de son régime actuel, le Rhône, avec une vitesse moyenne de 2 mètres à la seconde, correspondant à une dénivellation de 0m, 50 par kilomètre, et un débit de 400 mètres cubes à l’étiage, use une force kilométrique de 3,000 chevaux à rouler les galets de son lit, à bouleverser les enrochemens de ses rives. Dans les conditions moyennes des canaux de simple irrigation rejetés par le sénat, avec une vitesse de 1 mètre à la seconde et