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Toutes les migrations qui ont eu pour résultat le peuplement successif du monde manifestent comme cause première la lutte pour l’existence, le besoin de nourriture.

Combien devait être rude alors cette lutte avec une nature abandonnée à elle-même, dans les espaces où les centres cultivés apparaissaient seulement par exception ! D’immenses forêts vierges à peu près impénétrables, interrompues par des marécages et des rivières au cours changeant, occupaient presque exclusivement le pays entre le Rhin et les Alpes, où les grands glaciers n’étaient pas encore rentrés dans leurs limites actuelles. A l’arrivée des Germains, les Celtes détenaient toute la zone au sud du Mein et des Monts-Sudètes, où les deux races se mêlèrent ensuite et se confondirent. Les Celtes eux-mêmes, venus longtemps auparavant, avaient rencontré des peuplades de petite taille, qui se retirèrent vers le nord, du côté de la Finlande, et en partie vers les montagnes basques, sans disparaître complètement de l’Allemagne. Ces petits hommes de souche finnoise vivaient surtout de chasse et de pêche et élevèrent les constructions lacustres les plus anciennes. Ils ont donné naissance à la tradition populaire des nains répandue par toute l’Europe. Quoique issus d’une souche probablement commune, les Celtes et les Germains avaient acquis des types différens, sous l’influence de milieux divers. La race est quelque chose de mobile, qui se fait et se défait par suite du changement des conditions d’existence. Aussi constatons-nous chez les habitans de certains cantons des Alpes et de coins reculés des montagnes de l’Allemagne moyenne des caractères corporels distincts de ceux des populations germaniques plus pures, au sang moins mêlé, notamment des yeux noirs et des cheveux foncés au lieu des cheveux blonds et des yeux bleus. Le nom même de Germani, signifiant les voisins, a été d’abord appliqué par les Gaulois aux Tongriens. Ceux-ci déclarèrent que les barbares de l’autre côté du Rhin étaient de la même race ; par suite le même nom s’étendit à tout l’ensemble de peuplades qui l’a conservé depuis. Le mot deutsch, qui apparaît seulement dans l’intervalle du Ⅸe au Ⅹe siècle, se rattache, comme la dénomination de Teutons, à Thiod, le peuple au parler vulgaire, ou les Thiodis, ainsi appelés en opposition aux Francs romanisés parlant le latin plus ou moins corrompu, langue de l’église et des clercs, devenue la source du vieux français.

Un voile obscur recouvre ou enveloppe les migrations des Germains des bords de la mer Caspienne à travers les plaines du sud de la Russie, des bouches du Volga à celles du Danube et du Dniester. Suivant toute probabilité, leur direction remonta le Dniester pour redescendre la Vistule. Point de grande difficulté sur ce parcours, à travers un pays sans accidens de terrain prononcés, mais à peu