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idées, de se préparer à une discussion où il était certain de trouver des appuis. Malheureusement, M. le ministre de la guerre n’a point agi ainsi ; après une courte résistance, il a rendu les armes devant les réformateurs de la commission, en se bornant tout au plus à présenter un contre-projet qui n’a, il faut l’avouer, aucune valeur, qui ne ferait que livrer à l’arbitraire la disponibilité de l’armée. Il a faibli avant la lutte, sans doute par des raisons de tactique parlementaire, pour ne pas mettre à l’épreuve la majorité républicaine. M. le général Lewal s’est visiblement mépris sur son rôle. Il se serait vraisemblablement créé une sérieuse et forte autorité si, après avoir dit qu’il n’était et n’entendait être qu’un soldat, il avait continué à traiter une loi militaire en soldat préoccupé avant tout de la puissance du pays. En cédant presque sans combat, il s’est diminué d’avance. Et quand les questions les plus graves sont ainsi livrées au hasard de délibérations décousues, quand les affaires les plus sérieuses sont subordonnées à des passions, à des préjugés ou à des calculs de parti, est-ce qu’on peut bien s’étonner qu’il y ait partout un indéfinissable malaise ?

Le doute gagne le pays parce que les idées fausses sont dans la place, règnent dans le parlement, et parce que le gouvernement, au lieu de remplir résolument son rôle, se sauve le plus souvent par des concessions ou des expédions, en ménageant des intérêts ou en flattant des passions. Ce n’est point sans doute que le gouvernement pactise avec les « ouvriers sans travail » qui sont allés l’autre jour porter au Palais-Bourbon leur programme de revendications sociales, et encore moins avec l’anarchie bruyante qui court les rues et les réunions publiques, qui fait des manifestations pour effrayer le bourgeois. Le gouvernement n’en est pas là, nous le savons bien ; il se pique de maintenir la circulation dans les rues et de réprimer le désordre matériel. Pour tout le reste, il laisse faire ; il laisse s’accréditer et se propager des idées, des habitudes, des prétentions qui, depuis quelques années, ont certainement contribué à aggraver une situation industrielle fort ébranlée. Il laisse aller les choses, et, pour tout remède ou pour tout progrès, ce qu’il a aujourd’hui à offrir, c’est un retour au régime protecteur, c’est ce droit sur les blés étrangers, qu’il vient de demander à la chambre, qu’il n’a proposé que dans l’espoir de flatter et de rallier les classes agricoles. Assurément, cette crise agricole, sur laquelle on fait tant de discours contradictoires, existe, et M. le ministre de l’agriculture a parlé l’autre jour en homme bien intentionné des intérêts qui lui sont confiés. Que peut cependant ce droit qu’on propose ? Il n’est, selon toute apparence, qu’un assez faible expédient, précisément parce que le mal qu’on croit atténuer tient à des causes plus générales, se lie à tout un ensemble de faits, à tout un mouvement dans le monde entier. Autrefois, quand M. Thiers proposait franchement un retour à la protection, c’était un système tout à la fois