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directement et séparément avec chacune soit pour l’octroi, soit pour le mode de perception de l’impôt. Dans les assemblées de la nation, qui auront lieu à partir du XIVe siècle, cette séparation se maintiendra ; les députés se diviseront d’abord par ordre, mais aussitôt après, au sein de chaque ordre, ils se diviseront par provinces ou groupes de provinces[1], et, plus d’une fois, tel de ces groupes, préoccupé avant tout de ses intérêts, stipulera pour lui-même, se retirera ou s’abstiendra quand il aura obtenu satisfaction et fera manquer les résolutions communes. En somme, sous les apparences d’unité qu’un pouvoir arbitraire et une royauté de grand prestige donnaient au pays, la nation était à faire au XVIIe siècle. Elle n’était plus une fédération et n’était pas encore un seul peuple. On sait qu’à l’époque des guerres de religion, La Noue avait entrevu sérieusement l’éventualité d’un démembrement de la monarchie. L’Angleterre, par une bonne fortune unique en Europe, a été homogène dès le XIIe siècle[2]. Elle a dû en partie cet avantage au caractère tout particulier de sa division administrative, héritée des Anglo-Saxons. Sa circonscription la plus étendue, le comté, était à peine égale en moyenne à la moitié d’un département français d’à présent et au dixième d’une province comme la Bretagne. Eût-il élevé des prétentions, la force lui aurait manqué pour les soutenir. Plusieurs comtés correspondaient plus ou moins exactement, non pas à une race, mais à une certaine tribu des envahisseurs ; ils représentaient quelquefois un royaume éphémère, rarement une nationalité effectivement distincte. Très peu se rappelaient avoir joui d’une existence politique séparée. Les incessantes révolutions, conquêtes et fusions de la période anglo-saxonne avaient brouillé tous ces souvenirs. Conquis en bloc par les rois normands, les comtés n’avaient pas eu l’occasion de stipuler chacun à part des autres le maintien ou l’octroi de franchises particulières. Dans ces conditions, ils n’étaient guère que de simples divisions administratives et fiscales, sans caractère ni intérêts individuels. Ils n’avaient aucune analogie avec nos provinces de l’ancien régime. L’analogie était plutôt, moins le caractère violent et artificiel, avec

  1. Voir notamment les états de 1576, de 1588 ; la division se fait par « gouvernemens. » Le même esprit s’était manifesté en 1483 aux états de Tours. En 1346, Hervieu signale un vote par états provinciaux ou par nations. De même, en 1349, pour la langue d’oil. La réunion séparée d’états pour la langue d’oil et la langue d’oc est longtemps d’usage courant.
  2. Il est probable que la condition de l’Angleterre à cet égard eût été à pou près celle de la France, si elle avait été plus prompte à conquérir le pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande et si elle avait dû compter de bonne heure, dans ses assemblées politiques, avec les représentans de ces provinces annexes si différentes d’elle-même.