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nationale, où les oppositions de classes étaient aussi rares que les conflits entre les prétentions locales, tandis que nos états généraux n’étaient qu’un lieu de rencontre et de juxtaposition pour des ordres indifférens ou hostiles les uns aux autres, et pour des délégations provinciales qui ne s’élevaient pas sans effort au-dessus des intérêts particuliers de leurs commettans.


II

Il convient maintenant d’étudier de plus près les élémens qui entrent dans la composition du parlement et d’observer comment ils s’y rejoignent, dans quel ordre ils s’y distribuent, quelle relation il y a entre la place qu’ils occupent dans la nation et leur rôle parlementaire, et réciproquement quelle influence ce rôle a pu exercer sur leurs rapports mutuels et sur leur inégal développement au sein du corps politique. Dans toutes ces questions, la lumière ne peut être faite qu’à la condition de pénétrer un peu profondément dans la vie locale du moyen âge. Là, non moins que dans la région des grands pouvoirs, l’Angleterre diffère notablement des autres pays de l’Europe. Ce qu’on y rencontre de plus particulier, c’est une classe moyenne rurale, force sociale inconnue dans les états du continent, qui se forme peu à peu par le dédoublement de la classe supérieure, s’abaisse pour un temps, s’enfonce pour ainsi dire dans la nation, se mélange avec les classes placées au-dessous d’elle, et après leur avoir apporté l’égalité devant la loi et devant l’impôt, remonte en les entraînant à sa suite vers de plus hautes destinées, déploie une activité croissante à l’appel de l’autorité royale, constitue du XIIe au XIVe siècle le self-government local aux dépens de l’ancienne administration des comtés, puis, devenue trop considérable pour être tenue à l’écart, prend place dans le parlement, y sert de lien, grâce à sa nature mixte et à ses doubles affinités, entre la haute noblesse et la représentation des villes ; enfin, lorsqu’au XVIe siècle la disparition de l’ancien baronnage laisse une grande place inoccupée dans la plus haute des deux branches parlementaires, se trouve prête à remplir le vide et formé la souche de l’aristocratie anglaise moderne. Le développement de cette classe est un fait capital dans l’histoire politique de l’Angleterre. Il importe de s’y arrêter un instant.

Presque immédiatement après la conquête, le baronnage normand établi en Angleterre apparaît divisé en deux portions et pour ainsi dire en deux étages : les hauts barons, barones majores, et les petits vassaux immédiats de la couronne, tenentes in capite, qu’on