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puissans. Aussi font-ils tous leurs efforts pour se dérober. Ils n’échappent qu’à prix d’argent, on le verra plus loin, à leurs obligations en temps de guerre. Comme il est naturel, le roi est moins attentif à exiger la présence de cette multitude à ses conseils. La convocation des petits vassaux directs tombe donc rapidement en désuétude. Pendant plus d’un siècle après la conquête, l’avis et l’acquiescement de cette classe ne sont jamais mentionnés en tête des ordonnances royales[1]. Les grands vassaux, les évêques et les juges y figurent seuls ; ils y figurent avec une constance qui atteste leur assiduité. Sous les rois normands et angevins, on aperçoit d’abord autour du trône un corps formé des grands officiers du palais, chefs de l’administration générale, et d’un certain nombre de prélats et de barons que le roi estime particulièrement capables et de bon jugement, c’est le conseil du roi. À ce groupe permanent s’adjoignent dans les circonstances importantes, — guerre à déclarer, subsides extraordinaires à fournir, édits à promulguer, — le reste des grands vassaux laïques et ecclésiastiques. Ils forment alors le magnum concilium, le grand conseil. Le roi tient la main à ce qu’ils y assistent ; car leur consentement, — qu’ils ne peuvent refuser à une volonté si puissante[2], — décourage toute résistance locale à l’exécution des mesures, et eux-mêmes sentent qu’ils ont intérêt à être présens pour discuter et faire réduire les charges dont ils sont menacés.

Ce simple fait a eu des conséquences immenses. Le baronnage se divise ; deux groupes distincts s’y forment par un lent dédoublement : — une haute classe provinciale sédentaire qui comprend tous les petits vassaux directs du prince avec les barons les moins considérables, — et une aristocratie politique qui comprend, avec tous les grands barons, les conseillers appelés par la couronne. Et on voit le point précis où la division s’opère : c’est la présence et la séance habituelles au conseil du roi qui distinguent et caractérisent cette aristocratie ; c’est le fait de la convocation individuelle et nominative qui tend à devenir le signe extérieur et officiel de sa dignité. Circonstance capitale ; car la qualité de noble et les privilèges, dévolus alors en tout pays à la classe la plus haute, vont

  1. Voyez Stubbs, Select Charters. Remarquer, même plus tard, celle de 1237, où les magnats seuls paraissent avoir été présens, quoique la concession de subside soit réputée faite aussi par les chevaliers et les hommes libres. Ceux-ci représentent leurs « vilains. » En 1232, les vilains sont nommés avec les autres comme ayant octroyé le subside. Évidemment, chevaliers, hommes libres, aussi bien que vilains, n’étaient pas là en personne, les magnats stipulaient pour eux.
  2. Il n’y a pas d’exemple d’un refus de subsides sous les rois normands. (Stubbs, Select Charters. Préface, p. 18.)