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en apparence ; elle se fonde sur la primogéniture, devenue la coutume générale, et sur des statuts qui tendent à garantir, tant les droits de réversion des seigneurs dominans sur la terre, que le service militaire ou pécuniaire attaché aux tenures. On a pu voir que toute cette organisation a finalement manqué son but. La chevalerie jette un voile brillant sur une société où l’égoïsme, la cupidité et la cruauté ne sont pas moindres que dans l’âge précédent et où ces fruits de corruption ne sont plus rachetés par les jets d’une sève héroïque. À cette société préside une haute noblesse extrêmement réduite en nombre. Les anciennes baronnies se sont, ou divisées en petits domaines, on accumulées en apanages entre les mains de quelques familles, celles-ci issues ou alliées de la maison royale. La dissolution répétée des tenures baronniales brouille et annule les titres territoriaux de la pairie et, par un effet connexe, l’élément purement formel de cette dignité, le fait de la convocation ou de l’institution royale, prend la valeur d’un titre complet et se combine avec le principe de l’hérédité, alors en crédit et en progrès. La chambre des lords reçoit à cette époque l’organisation qu’elle a conservée jusqu’à nos jours. D’autre part, ce baronnage d’apanagistes, du sang de la maison royale, ne tarde pas à se diviser en deux factions rivales, groupées autour de prétendans au pouvoir ou à la couronne ; aucun sentiment sérieux des droits ou de la légitimité de leur chef, aucun attachement sincère à sa personne ne jettent l’une contre l’autre ces deux moitiés de la noblesse ; l’intérêt, considéré brutalement, un immense appétit de spoliation, un besoin de haine qui cherche un prétexte pour s’exercer, sont les motifs peu déguisés de toutes leurs démarches. Pendant toute la longue période qui va de Richard II à Henri VII, ils jouent aussi au jeu cruel de la guerre et du hasard, conspirant, se trahissant entre eux, se massacrant les uns les autres sur les champs de bataille, décapitant le lendemain ceux que les chances du combat ont épargnés. La chambre des lords n’est qu’un lieu de station provisoire pour la faction qui a réussi à proscrire l’autre, et à côté d’elle, un roi de fait (King de facto), consacré peut-être par une révolution d’hôtel de ville, invoque pour la forme un droit auquel personne ne croit plus. En face de ces pouvoirs factieux et instables, la chambre des communes, seul pouvoir permanent et largement national, reçoit des circonstances une sorte de rôle arbitral[1]. Ces porteurs de titres litigieux ne peuvent demander qu’à elle un crédit précaire. Encore timide, incertaine, étonnée de ce qui lui échoit ainsi sans qu’elle l’ait cherché, elle exerce, pendant plus d’un siècle, une autorité prépondérante. Ses

  1. Stubbs, II, 307.