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comparable à la chambre des lords du temps d’Henri VIII que le sénat de Napoléon Ier, composé en majorité d’hommes nouveaux, créatures du souverain. Ces « champignons de pairs, » dont le despote parlait si dédaigneusement, l’Angleterre les avait connus à l’époque des Tudors. La chambre des lords ; pendant, toute cette période, en est peuplée. Mais Napoléon ne voyait que le présent. L’oligarchie superbe qui devait, deux siècles plus tard, mettre la royauté en tutelle et faire de la liberté politique un instrument à son profit, est issue de ces humbles parasites. Tant est grande la vertu du temps et de l’hérédité !

Une altération non moins profonde se produit dans la situation du haut clergé. Au lendemain de la conquête, Guillaume le Conquérant avait organisé la juridiction ecclésiastique à part de la juridiction commune. Le clergé devient le juge des crimes et des délits de ses propres membres, et cette immunité le constitue en société autonome et distincte à côté de la société civile. Dans les convocations de Canterbury et d’York, tous les clercs se réunissent à l’appel de leurs archevêques, élaborent des statuts pour leur ordre et bientôt votent séparément les taxes pesant sur les spiritualités (dîmes et oblations). L’église n’est pas seulement indépendante, elle a pied sur le domaine des laïques ; ses chefs sont membres du magnum concilium. Le droit canon s’est développé avec une ampleur savante ; toutes les causés où un élément religieux est impliqué : les testamens, les mariages, et finalement tous les contrats, tombent de bonne heure sous la compétence des tribunaux spirituels. Naturellement, la richesse rejoint la puissance. C’est un calcul accepté au moyen âge[1] que le clergé possède le tiers des terres du royaume. Les congrégations, particulièrement les cisterciens, ont des revenus comparables à ceux d’un état. Les libéralités dont l’église bénéficie sont sans mesure, et c’est son génie subtil comme son exemple qui dirigent d’abord la main des légistes appliqués à introduire le coin dans le régime foncier féodal. La papauté est naturellement tentée de mettre la main sur cette forte organisation et sur ces immenses ressources. Il semble que nulle part les prétentions de Rome n’ont été plus exorbitantes, son avidité plus insatiable, ses actes d’ingérence plus imprudens. Les circonstances lui avaient par deux fois, sous Guillaume Ier et sous Jean[2], donné un titre apparent pour traiter l’Angleterre en fief du saint-siège. On la voit lever directement des tributs sur le clergé, parfois même sur les laïques, multiplier avec art les appels à la curie, s’emparer de la nomination à

  1. Notamment en 1380.
  2. Stubbs, I, ch. XIX. Le tribut imposé à Jean fut payé effectivement jusqu’en 1333.