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parmi les créatures de la royauté. Qui s’étonnerait qu’elle n’ait pu que fléchir, lorsque la main d’Henri VIII s’appesantit sur elle ?

La décade 1530-1540 voit s’accomplir cette révolution capitale. Le roi, mécontent du pape, sépare l’Angleterre du siège de Rome. Il se déclare chef suprême de l’église, gardien et défenseur de la vérité religieuse. Les assemblées du clergé ne peuvent se ternir qu’avec son aveu ; les canons ne prennent autorité que par sa sanction. C’est lui qui est, en son conseil, la juridiction suprême pour les matières spirituelles. L’hérésie même n’échappe pas à sa compétence. Cranmer estime que la couronne peut à elle seule faire un prêtre sans qu’aucune ordination soit nécessaire. Même après que cette opinion extrême a été abandonnée, il reste admis que les évêques reçoivent du prince seul l’investiture et ne gardent leur dignité qu’à son plaisir ; une nouvelle commission leur est délivrée à chaque règne qui commence. Leurs revenus sont réduits. Ils ne font plus figure de grands seigneurs, et rien ne rappelle en eux l’ancien titre baronnial. A côté d’eux, les couvens et les abbayes ont vu confisquer leurs propriétés ; la couronne partage leurs dépouilles entre les nouveaux nobles, ses créatures. Toute la haute classe laïque se trouve plus ou moins intéressée au maintien du nouvel ordre de choses, qui lui a procuré ces riches dotations. Un fait analogue s’est produit en 1789 dans la masse des paysans français après le partage des biens nationaux. La crainte de voir la dynastie restaurée revenir sur cette mesure révolutionnaire a servi de recommandation et d’apologie à des gouvernemens détestables et a fait entrer dans les instincts héréditaires du peuple une sorte de parti-pris contre tout ce qui rappelle l’ancien régime. L’inconsciente poussée de l’égoïsme et de l’avarice sert pareillement de soutien et de contrefort à la nouvelle église d’Henri VIII. Un intérêt personnel et de famille contribue à retrancher et à fortifier la foi protestante contre tout retour des doctrines romaines. A partir du XVIe siècle, les hauts dignitaires ecclésiastiques, naguère en majorité dans la chambre haute, n’y sont plus qu’une minorité qui voit croître rapidement à ses côtés la pairie laïque. L’église dont ils sont les chefs, après le roi et par la volonté royale, n’est plus proprement l’ancienne église apostolique qui puise son autorité dans sa tradition et qui n’est que limitée par la loi. Elle est comme fondée à nouveau par un acte du pouvoir séculier ; elle reçoit de la loi son titre à l’obéissance des sujets anglais. Quoique le clergé conserve des dotations foncières et perçoive la dîme, il prend dès cette époque la physionomie et les caractères d’un clergé de fonctionnaires. Il ne rappelle plus à aucun degré l’église des Anselme, des Becket, des Langton ou même des Arundel et des Beaufort, il se rapproche plutôt du clergé français tel