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sous pression, chauffée à toute vapeur, sans quoi de rapides croiseurs risquent de franchir, pendant son sommeil, ses lignes immobiles, de gagner la haute mer, d’y écumer les routes commerciales, d’y accumuler en quelques semaines plus de ruines et de désastres que des années de blocus ne feront jamais de mal à un pays quelconque. La guerre de la sécession a vu créer un type spécial, les blockade runners, les violeurs de blocus. Toute guerre nouvelle les ferait renaître perfectionnés. Et personne n’ignore que des cuirassés ne sauraient rester toutes leurs chaudières allumées sous peine non-seulement d’épuiser leur combustible, mais de détériorer leurs machines, incapables de résister à un pareil effort. « Le maximum de vitesse, a dit l’amiral Aube, est fonction de la tension de la vapeur, et cette tension ne peut être toujours maintenue au maximum qu’en marche, ce qui implique une consommation de combustible qui ne tarderait pas à paralyser les navires par la nécessité de le remplacer et par l’usure, plus fatale encore, des machines si délicates qu’exigent les grandes vitesses, » Les gros cuirassés ont d’ailleurs la vitesse normale de 8 à 10 nœuds, qui ne s’élève guère au maximum au-dessus de 13 à 15 nœuds ; les croiseurs et les grands paquebots de commerce qu’on convertirait en croiseurs au moment d’une guerre filent aujourd’hui 17 nœuds ; quelques-uns ont atteint déjà 18 nœuds. Mais il est certain qu’on obtiendra des vitesses plus grandes encore. Dès lors il n’y aura pas de blocus qui ne puisse être aisément forcé, nous ne disons pas la nuit, tâche facile, mais en plein jour, devant l’escadre ennemie.

Il est donc clair que la guerre d’escadre n’a plus de raison d’être, puisqu’elle ne saurait assurer la domination des mers à la nation qui en sortira victorieuse. S’il y a eu encore une bataille d’escadre, en 1860, entre l’Autriche et l’Italie, c’est qu’à cette époque la marine cuirassée en était encore à ses premiers tâtonnemens ; on traversait une période de transformations pleine d’incertitudes, et, par suite, d’erreurs. Ce qui le prouve, c’est qu’à côté de la division cuirassée italienne se trouvait toute l’escadre à voiles de l’amiral Albini, qui n’osa pas donner, et qui abandonna l’amiral en chef. L’amiral Albini ne méritait pas moins de passer en jugement que l’amiral Persano. Mais le chef d’état-major de Tegethof qui dirige aujourd’hui avec tant d’habileté la marine austro-hongroise, vient de déclarer aux délégations que, le règne des cuirassés étant fini, le programme et les méthodes de son illustre maître devaient être abandonnés. Au cours de toutes les autres grandes luttes maritimes dont nous avons été témoins en ces dernières années : dans l’Amérique du Nord, pendant la guerre de la sécession ; dans l’Amérique du Sud, pendant la guerre du Chili contre le Pérou, la