Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conséquence, que si tous les martyrs réels ne sont pas inscrits dans les martyrologes, il peut d’autre part se rencontrer dans ces recueils, relativement tardifs et souvent composés au hasard, bien des saints douteux et bien des martyrs équivoques, sur lesquels l’aveugle dévotion de la postérité s’est égarée. Cette conclusion, les bollandistes l’admettent évidemment de façon implicite et, comme nous le verrons, n’hésitent pas à la confirmer à l’occasion. Ils disent fort bien quelque part que leur œuvre, leur fonction est justement d’examiner les droits des martyrs et des saints à la vénération commune, de vérifier scrupuleusement leurs titres soit pour justifier, soit pour récuser le culte qu’on leur rend. Ceci n’est pas absolument vrai pour les personnages relativement modernes qui ont vécu dans la pleine lumière de l’histoire des derniers siècles et sur le compte desquels l’autorité pontificale a prononcé dans les formes. Pour ceux-ci les bollandistes n’ont qu’à rappeler les motifs qu’ont suivis les décrets et à les transcrire. La cause est jugée et n’est plus à instruire : la critique des théologiens de la compagnie de Jésus n’est plus libre. Mais, pour cette grande multitude de martyrs et de saints qui sont morts dans les premiers temps de l’église en Occident et en Orient, dont les noms, les mémoires, les notices et les Actes remplissent les martyrologes et les passionnaires, le procès est toujours ouvert, et, après le pape Gélase, on peut croire que plus d’un intrus a pu se glisser dans la foule et être introduit sans droit au divin banquet des bienheureux.

Mais quelle tâche, après tant de siècles, que cette vérification 1 Souvent la matière même de la cause à instruire fait défaut. On ne trouve que des noms parfois estropiés ou diversement rapportés dans les recueils, sans indication de lieu ni de date ou avec des indications évidemment inexactes. Quand on a noté les noms avec les diverses variantes, et mis en marge tempore incerto ou, ce qui est tout aussi vague, Ie, IIe ou IIIe siècle, on a dit tout ce qu’on savait. Parfois les noms sont connus d’ailleurs, ce sont des personnages de l’histoire évangélique, comme Salomé, mère des fils de Zébédée, ou Marie de Magdala, ou Luc l’auteur des Actes des apôtres, ou Thaddée, ou quelqu’un des nombreux amis de saint Paul, que celui-ci nomme et salue à la fin de ses lettres. La mémoire reconnaissante des premiers fidèles les a rangés au nombre des saints et quelquefois des martyrs, l’imagination s’est donné carrière à leur sujet, leur a prêté des aventures, des voyages, des rangs illustres dans la hiérarchie ecclésiastique et des morts diversement édifiantes. La matière est délicate et la critique périlleuse. Les bollandistes estiment qu’il n’est pas défendu d’émettre des réserves respectueuses et, s’il s’agit de faits manifestement faux,