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y reconnaît et, par suite, d’abréger son recueil au lieu de le grossir, car, si les pièces qu’il a choisies pour les y insérer, sont, comme on l’accorde, les meilleures, quoique fort souvent douteuses et suspectes, celles qu’il a exclues sont plus défectueuses encore et moins dignes de confiance. Mais la thèse de M. Le Blant, admissible d’une façon générale, est que, dans les pièces les moins sincères prises en bloc, il y a des parties antiques, documentaires, dont l’histoire peut faire son profit, et le but qu’il vise est de montrer dans le détail à quels signes on reconnaît ces paillettes au milieu du gravier trouble.

Les bollandistes, dans les amples études préliminaires qu’ils mettent en tête des textes des Actes qu’ils publient, fournissent les raisons d’un triage à faire parmi les Actes, mais ils ne le font pas, du moins par voie d’exclusion. Avec tous les érudits, ils distinguent les Actes en Actes fabuleux, corrompus, et sincères. Ils savent de plus qu’il y a des degrés dans le vrai comme dans le faux et, à la suite d’un érudit de la fin du XVIIe siècle, Honoré de Sainte-Marie, ils distinguent les Actes sincères en cinq classes[1] : 1° les autographes judiciaires, appelés ordinairement actes proconsulaires ou présidiaux, pris ou extraits textuellement d’archives publiques ; 2° les autographes écrits de la main même des martyrs ; 3° les autographes composés par des témoins auriculaires sur des notes d’audience ou sur des souvenirs personnels immédiatement après l’exécution ; 4° les actes faits d’après des pièces autographes, un peu plus tard, avec additions parfois et embellissemens oratoires (non semel animadversiones et rhetoricœ venustatcs additœ) ; 5° enfin, les actes composés en forme d’homélies ou de panégyriques sacrés ou bien insérés dans ces pièces.

Il y a, ce me semble, un peu de fantaisie dans cette classification des Actes « sincères. » Nous n’avons pas d’Actes qui, strictement, appartiennent à la première ni à la seconde de ces cinq classes. On appelle, il est vrai, « proconsulaires » les Actes des martyrs scillitains. Cette dénomination ne convient guère aux divers textes qu’on connaissait avant la publication du texte grec, faite récemment par M. Usener et tiré d’un vieux manuscrit de notre Bibliothèque nationale. Mais ce texte même appartient plutôt à la troisième classe qu’à la première, par cette seule raison que la sentence qui se trouve à la fin fut très certainement prononcée en latin. Il en est de même des Actes de Cyprien. Nul ne les peut considérer comme

  1. L’ouvrage auquel les bollandistes ont emprunté cette classification a pour titre : Réflexions sur les règles et sur l’usage de la critique touchant l’histoire de l’église, les ouvrages des pères, les actes des martyrs et les vies des saints. Paris, 1713, 3 vol. in-8o. Cf. Act. SS., t. IX d’octobre, Act. S. Philippi, au 22 octobre, p. 537 et suiv.