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parlant des choses les plus sérieuses comme des bruits mondains ou d’une représentation de Mlle Mars, commentant les incidens de la politique et les discussions des chambres, traçant au passage de piquans portraits des ministres, de M. Molé, de M. Pasquier, des ultras ou des révolutionnaires.

De ce monde d’autrefois et de ce temps il ne reste plus rien, pas même les lois libérales de M. de Serre sur la presse, qui ont été remplacées et n’ont jamais été égalées. Il ne reste tout au plus que le souvenir d’un moment brillant de l’histoire, des tentatives généreuses qu’on faisait alors pour arriver à fonder par degrés des institutions libres, et le sentiment assez peu consolant que, depuis cette époque, on a fait du chemin sans aller plus droit au but. C’est justement en cela que ces lettres, révélation d’un esprit jeune et fier, retrouvent un singulier à-propos. Il est certain que bien des idées qu’on avait en 1818 et en 1820 ressembleraient aujourd’hui à de l’ingénuité, tant on s’est accoutumé à ne tenir aucun compte des conditions, des garanties en dehors desquelles un jeune libéral d’autrefois trouvait que la vie publique n’avait plus de prix. Charles de Rémusat écrivait, en 1818, non par diplomatie de parti, mais dans l’intimité, qu’il y avait quelque chose de plus dangereux que le despotisme éhonté de la force, qui ne trompait personne, c’était « le despotisme hypocrite, qui cherche des excuses, expose ses motifs, colore ses intentions, remet tous les droits en question et profite de l’incertitude des esprits, de l’inquiétude des consciences pour les faire parler à son gré. » Ce jeune libéral de la restauration avait le sentiment profond qu’il n’y avait pas de liberté sans des garanties précises pour tous et sans le respect de ces garanties, qu’il n’y avait pas un ministère sérieux s’il n’avait pas un système suivi, s’il ne s’attachait pas aux institutions, et c’est sous la monarchie, trois ans après 1815, qu’il parlait ainsi. Lorsque le maréchal Gouvion-Saint-Cyr proposait sa loi de recrutement, qui est restée longtemps une des lois les plus libérales, les plus populaires, qui chassait l’arbitraire de, l’armée, il rencontrait une vive opposition parmi les royalistes, et ce qu’on attaquait dans la loi, c’était justement ce que Charles de Rémusat défendait, en montrant dans le maréchal un modèle à suivre. « C’est une belle attitude, écrivait-il, que celle de ce ministre de la guerre qui, impassible et muet au milieu du fracas des disputes, ne prend la parole que pour être entendu de la France entière… Il y a un mois, ses collègues se moquaient de lui ; c’était à qui plaisanterait sur son calme et son immuabilité, et il s’est trouvé tout bonnement que, parce qu’il savait ce qu’il voulait, il a été plus habile qu’eux tous. Tout serait donc facile si, au lieu de dépenser son esprit en petites choses, on ne procédait que par grandes mesures,.. enfin si, selon l’expression de Mirabeau, on élevait l’oriflamme au-dessus de toutes les bannières. » Le fait est que l’exemple a son