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de la disette, tantôt aux perplexités de l’abondance. Il est en effet curieux de constater que les préoccupations causées aux cultivateurs d’aujourd’hui par l’avilissement du prix du blé n’étaient pas inconnues aux cultivateurs d’autrefois. « Les blés diminuent si fort de prix, écrit M. de Marillac, intendant de Rouen, que cela est surprenant ; .. il est important d’en faire enlever du royaume, vu la beauté de la moisson future qui rendrait l’abondance ruineuse. » Et la perspective de cette abondance suggérait à M. de Cosnac, archevêque d’Aix, cette réflexion que ne désavoueront assurément pas nos agronomes : « On est obligé de remarquer que c’est un avantage pour le peuple lorsque le blé est à un honnête prix, parce que, lorsqu’il est à vil prix, les possesseurs n’ont pas de quoi travailler à la culture, ni de quoi fournir aux champs, ni de quoi faire travailler les pauvres. » Certes, il s’en faut que le blé atteigne aujourd’hui « cet honnête prix » au-dessous duquel M. de Cosnac désirait ne pas le voir descendre ; mais entre les préoccupations de la disette et celle de l’abondance ruineuse, mieux valent encore celles de l’abondance.

Quant aux ouvriers de l’industrie, beaucoup moins nombreux par rapport à l’ensemble de la population et surtout beaucoup moins agglomérés sur un même point qu’ils ne le sont aujourd’hui, leur condition dans l’ensemble parait avoir été plus douce que celle des paysans ; mais elle engendrait cependant encore bien des misères ; pour en parler avec exactitude, il faudrait entrer dans des détails infinis. M. Levasseur a consacré deux savans volumes à raconter avec l’impartialité d’un esprit supérieur, étranger aux mesquines préoccupations de parti, l’histoire des classes ouvrières avant 1789. Dans cette histoire il n’a pas distingué moins de sept périodes depuis Jules César jusqu’à la révolution française. S’il fallait comparer la condition des ouvriers pendant chacune de ces périodes à celle des ouvriers de nos jours, la comparaison risquerait de durer assez longtemps. Contentons-nous donc d’étudier un seul point, et pour serrer de près notre sujet, cherchons à démêler ce que contenait de bon et de mauvais cette institution des corporations qui a duré depuis le commencement du XIIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe et qu’on reproche si amèrement à la révolution française d’avoir détruite.

Certes aucun esprit de bonne foi ne saurait contester qu’à l’époque où les corporations reçurent de saint Louis non pas la vie, comme on l’a dit souvent à tort, mais la consécration légale par leur inscription sur le Livre des métiers d’Etienne Boileau, elles n’aient constitué un grand progrès sur l’état de choses antérieur et qu’elles n’aient assuré à leurs membres une grande somme de bien. L’association des hommes entre eux, à la condition qu’elle soit sagement conduite, est toujours une force et un bienfait. La corporation sut