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renoncement ne soit un remède : à l’inégalité des conditions, à l’antagonisme des classes, à l’avilissement des salaires, à l’excès de la population, à l’esprit d’imprévoyance, aux maux de la concurrence, aux désastres du chômage. Le renoncement guérit tout ou plutôt il fait mieux que guérir, il prévient. Malheureusement pour les économistes, ils ont méconnu l’influence que cette vertu exerce sur la prospérité des sociétés. Par cette erreur coupable, ils ont fait de l’économie politique une science utilitaire et sensualiste ; ils ont proclamé le droit à la jouissance et proposé l’acquisition du bien-être comme l’unique objet à l’activité de l’homme ; ils ont égaré la société moderne sur ses fins et sur ses devoirs, ce qui explique son désordre et ses maux.

À cette thèse de M. Périn il n’y a qu’une objection à faire : c’est qu’il a trop raison ; de même qu’il n’y a qu’un reproche à faire à son ouvrage : ce n’est pas un traité d’économie sociale, c’est un sermon en trois volumes. Sans doute il y aurait un moyen bien simple de faire disparaître de la surface du monde toutes les souffrances autres que celles qui résultent de la maladie et de la mort : ce serait que tous les hommes pratiquassent toutes les vertus chrétiennes. Il a plu à M. Périn de choisir le renoncement. Je ne vois pas pourquoi il s’est dispensé de les énumérer toutes : l’obéissance, la résignation, l’amour du travail, la tempérance, la chasteté et surtout l’amour du prochain. Le jour où il n’y aurait plus ni un paresseux, ni un ivrogne, ni un débauché, le jour où tous les patrons auraient à cœur, avant toute chose, l’intérêt de leurs ouvriers et les ouvriers l’intérêt de leurs patrons, le jour, en un mot, où chacun aimerait son prochain comme soi-même, non pas seulement en paroles, mais en actions, ce jour-là, la question sociale serait résolue. Cela est de toute évidence, et je n’aurais aucune objection à faire si M. Périn avait seulement entendu mettre en lumière la profonde erreur de ceux qui voudraient faire marcher le monde à l’encontre des grandes lois morales et des nobles croyances sur lesquelles il a toujours vécu.

Mais la pensée de M. Périn va beaucoup plus loin. A ses yeux, le renoncement aurait toujours été non-seulement le précepte, mais la pratique des sociétés chrétiennes, des sociétés d’autrefois. Ce serait la société moderne qui aurait méconnu cette loi, à laquelle elle aurait substitué l’amour du gain, et de là viendraient tous les désordres dont nous sommes témoins. « Quand les sociétés étaient chrétiennes, dit M. Périn, elles pratiquaient la justice de Dieu et s’en remettaient aisément à la Providence pour le succès des ; labeurs par lesquels la race humaine accomplit la condamnation portée sur elle après la prévarication de son premier père. » C’est ici que le docte écrivain me parait tomber en plein arbitraire et, j’ose à peine écrire le mot,