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répartir utilement ces primes, ont dû pénétrer assez avant dans les mœurs de la classe ouvrière à Paris, ceux-là peuvent affirmer qu’on y trouve encore, grâce à Dieu, des patrons consciencieux et des apprentis dociles. Les choses ne vont donc point par trop mal dans la petite industrie, et je n’aperçois pas bien clairement ce que les syndicats mixtes y changeraient.

Arrivons maintenant à la grande industrie, et tâchons de comprendre, car la chose n’est pas absolument aisée, le rôle qu’y pourrait bien jouer le syndicat mixte.

Qu’un patron, soucieux de ses devoirs et sentant peser en quelque sorte sur sa conscience le poids de toutes ces existences qui dépendent de lui, ne se contente pas d’assurer à ses ouvriers un salaire aussi élevé que le lui permettent les dures lois de la production industrielle ; qu’il ne se contente même pas d’améliorer leur condition par la création de ces institutions accessoires qui mettent à leur disposition, pour un prix réduit, les choses nécessaires à la vie et d’assurer leur avenir en leur facilitant la prévoyance ou en assistant leur vieillesse ; qu’il veuille encore se mêler à leur existence quotidienne, prendre part à leurs réunions, s’associer à leurs plaisirs, se joindre à leurs exercices religieux ; en un mot, que, tout patron qu’il est, il vive autant que faire se peut de leur vie morale et abaisse dans la mesure du possible les barrières qui, même dans notre société démocratique, séparent l’homme en blouse de l’homme en redingote, et que, par tous ces moyens, il arrive à établir entre eux et lui les liens de la confiance et de l’affection mutuelle, assurément, c’est là un des plus nobles buts qu’un homme puisse se proposer d’atteindre, c’est un des emplois les plus dignes de l’activité humaine, et il n’y a pas d’existence qui mérite d’être mise au-dessus de celle-là. Mais il m’est impossible de reconnaître que ces relations du patron avec ses ouvriers constituent un syndicat mixte, et cela quand même sa femme et ses enfans, imitant son exemple, s’adjoindraient en nom et participeraient en fait aux diverses associations de secours mutuels ou de piété qui pourraient exister dans l’usine. Il me semble, en effet, que c’est un peu jouer sur les mots et se payer d’apparences. L’idée même de syndicat, à moins d’être une expression vaine, suppose entre ceux qui en font partie l’identité des intérêts et l’égalité des droits. Or, si les intérêts du patron et ceux des ouvriers qu’il emploie ne sont pas contraires, si même ils se confondent dans une harmonie supérieure, ils ne sont cependant pas identiques, et c’est un peu trop violenter les choses que de prétendre absolument les confondre. Quant à l’égalité des droits, comment peut-elle exister entre les ouvriers et le patron, dont ils dépendent plus ou moins, qui peut, à son gré, renvoyer ou conserver tel d’entre eux, augmenter ou diminuer son salaire ? Il y a donc