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expression. Mais les institutions de l’ordre économique ne peuvent la toucher que dans la mesure où elles favorisent les sentimens de piété que sa mission terrestre est de réchauffer sans cesse dans les âmes. Si, dans une encyclique récente le souverain pontife a exprimé le désir de voir les anciennes corporations rétablies, « convenablement au temps, sous les auspices et le patronage des évêques, » c’est que sa sagesse y a vu un moyen d’entretenir, parmi les travailleurs, « le goût de la piété et la connaissance de la religion. » Mais l’encyclique ne tranche aucune question de l’ordre économique ; c’est un terrain qui demeure livré aux disputes des hommes, et il serait souverainement imprudent d’engager l’église à s’y aventurer. On ne l’a que trop mêlée à nos luttes politiques ; ne la mêlons pas à nos luttes économiques. Ne la sollicitons pas de se prononcer pour ou contre la liberté du travail et celle de la concurrence. Ne la faisons pas protectionniste ou libre-échangiste au gré de nos conceptions personnelles. Toutes ces querelles passent, et elle demeure[1].

Ne soyons pas non plus (et c’est par là que je voudrais terminer) trop sévères pour notre temps et notre pays. Certes il souffle depuis bien des années un mauvais vent sur la France. Les passions qui fermentent toujours dans les bas-fonds de toute société ne paraissent pas près de s’éteindre, et le déplorable régime politique que nous subissons n’y aidera certainement pas. Mais ne va-t-on pas un peu loin lorsqu’on représente les ouvriers comme armés, d’un bout à l’autre du territoire, contre les patrons, les patrons contre les ouvriers, et la France à la veille de s’abîmer dans une guerre sans merci entre ces deux camps ? Le tableau

  1. Si le clergé voit avec une faveur bien naturelle s’accroître le nombre des cercles catholiques d’ouvriers, en revanche, il se tient dans une grande réserve sur le fond même de la doctrine qui est devenue le programme social de l’œuvre des cercles. J’en puis donner pour preuve les paroles suivantes qu’un des membres les plus éminens du clergé de Paris, Mgr d’Hulst, recteur de l’Institut catholique, prononçait en réponse à M. le comte Albert de Mun, à la dernière assemblée générale de l’œuvre, où il représentait l’archevêque de Paris. « Il y a dans nos rangs beaucoup d’hommes de bonne foi qui discutent certaines parties de votre système et qui avouent que jusqu’à présent ils n’y voient pas très clair. Ce que j’ai remarqué en général en écoutant ceux qui formulent ces objections, ce n’est pas qu’ils s’élèvent contre le principe ; ils sont d’accord avec vous sur le but, mais c’est qu’ils trouvent que les moyens proposés se confondent presque avec le but à atteindre et que la solution du problème ressemble de trop près à ce qui en est l’énoncé. Je ne veux pas entrer dans la discussion de cette opinion, mais il me suffit qu’elle soit sérieuse, il me suffit qu’elle soit sincère, il me suffit qu’elle soit partagée par des hommes qui pensent comme vous sur les grandes lignes de notre entreprise, pour que je me renferme dans une réserve à laquelle ne sont pas obligés ceux qui sont les initiateurs et qui ont le droit comme le légitime désir de convertir à leur opinion des amis qui hésitent encore. »